
Florent Sinama-Pongolle : «Un truc extraordinaire en Thaïlande»
12 clubs, 9 pays, c'est peu de dire que Florent Sinama-Pongolle a vécu plusieurs vies durant sa carrière. Aujourd'hui en Thaïlande, l'ancien joueur de Liverpool revit, marque des buts et prend du plaisir en Asie. Et si ce n'était pas là l'essentiel ? (Photos Chaianat Hornbill)
«Florent, sawadika (bonjour en thaïlandais, ndlr)...
Sawadika !
Comment vous êtes-vous retrouvé en Thaïlande ?
Ce choix a pu en surprendre quelques-uns, c’est clair. Je vais être sincère, je n’avais pas le choix. On ne m’a ouvert aucune porte. En France, je demandais des essais d’une semaine ou quatre jours dans les clubs où mon agent avait des connexions. Les gens devaient se dire "Florent doit être une terreur". Mais je n’ai jamais eu aucun souci de comportement. Oui, j’ai déjà eu des grosses blessures et c’est vrai que ça peut mettre le club en galère, mais c’est le foot.
Mais concrètement, comment s’est passée votre arrivée là-bas ?
En fait, ça a tardé au début. Un agent m’a contacté sur Instagram. Et à cette période, durant l’été, des messages comme ça, j’en recevais des dizaines par jour. Il y en a, tu le vois de suite que ce n’est pas sérieux. Là, j’ai répondu de suite. Au début, il me propose une équipe, deux équipes, trois équipes. Puis, tout tombe à l’eau. Donc là, sincèrement, je ne m’y attendais plus trop. J’étais dans une dynamique négative. En fait, il fallait que le club se sépare d’un joueur étranger puisqu’il y a des quotas. Ils ont réussi à faire partir un Brésilien et je suis arrivé.
Welcome to Thailand ??#YNWA https://t.co/32hyXfOqrR
— LFC Thailand (@ThaiLFC) 4 juillet 2016
La Thaïlande, c’était quoi pour vous ?
Je connaissais, j’étais déjà venu en 2001 lors d’une tournée de pré-saison avec Liverpool. On avait fait un ou deux matches et l’engouement autour du foot m’avait impressionné. On avait un hôtel que pour nous et les gens dormaient devant juste pour nous apercevoir, c’était fou. De toute façon, il faut savoir qu’en Thaïlande, il n’y a que deux clubs, à savoir Liverpool et Manchester United. Au début, d’ailleurs, les gens me reconnaissaient d’abord en tant qu’ancien des Reds, mais maintenant c’est vraiment en tant que joueur de Chainat. Il y a deux ans, au moment de la trêve en Russie, on avait eu un long break pendant l’hiver et j’étais venu ici avec toute ma famille. Ça m’avait vachement plu. Et enfin, moi, je crois au destin. Et lorsque, l’été dernier, je m’entraînais seul en Espagne, dans le complexe où je vivais, j’ai croisé un ancien joueur de Levante, qui m’avait affronté quand je jouais au Recreativo Huelva. Il m’a expliqué qu’il avait joué en Thaïlande et qu’il en était parti rapidement, il regrettait vraiment en fait. Alors, du coup, je me suis dit que si lui, qui jouait encore en Segunda A espagnole, me disait ça c’est que c’était un bon choix de partir là-bas.

«L'impression d'être à la Réunion»
Qu’avez-vous découvert en Thaïlande que vous ne connaissiez pas ?
La religion bouddhiste. Ils sont très croyants ici. Par exemple, pour l’anecdote, au centre d’entraînement, on doit y entrer pieds nus. C’est un peu comme pour entrer dans une mosquée. Ici aussi, ils mangent énormément épicé. Ça me donne l’impression d’être à la Réunion, ça me rappelle de bons souvenirs. Ça fait du bien car je suis parti très tôt de mon île. Les Réunionnais, on a toujours eu ce côté affectif. Regarde Dimitri Payet à West Ham. Son entraîneur (Slaven Bilic, ndlr) parle toujours en bien de lui et il explose. Aujourd’hui, mes perfs, je les dois aussi à cette chaleur-là. Les gens me font ressentir de l’affection, de l’amour... J’ai aussi une très bonne relation avec mon président, Rudy. Par semaine, je dois manger trois fois au restaurant avec lui. Il prend soin de moi. En Europe, on dirait que je suis le fiston du président, mais ici y’a pas tout ça. Ça ressemble au foot des années 80-90, j’ai l’impression. Il y a un côté serein, tout est plus sain, il n’y a pas autant de médias. Tout est frais. Par exemple, je suis plus vieux que le club ! Il a sept ans, il a été créé en 2009, c’est ouf ! Autre chose marrante, le sélectionneur de la Thaïlande a demandé d'annuler la journée du 28 septembre ! Et la Fédé a accepté (rires). La sélection doit préparer ses qualifications pour la Coupe du monde 2018.
Quel est votre programme quotidien là-bas ?
On s’entraîne toujours tard car il fait très chaud ! Environ 34-35 degrés avec l’humidité en plus. Je mange toujours dehors ensuite. C’est d’ailleurs affolant de manger aussi bien pour aussi peu d’argent.
Concernant vos installations, comment les jugez-vous ?
Franchement, très bien, il y a tout ! Notre bus, aussi, qu’est-ce qu’il est classe ! C’est un avion ! On a des couchettes où on peut dormir. On a des télés individuelles, des ports USB, des sièges massants. On peut mater des films. A l’entraînement, j’arrive en tongs c’est vrai, mais c’est plus simple à enlever. Je ne viens pas en scooter par contre. Mais un coéquipier, un défenseur coréen, je l’ai vu débarquer à l’entraînement en moto. Moi, j’ai un van avec chauffeur ici.
Comment se passe la communication pour vous ?
J’ai la chance de parler cinq langues, le français, le créole, l’anglais, l’espagnol, le portugais et presque six avec le russe, où je comprends 70-80% des choses. Mais c’est vrai que la communication n’est pas facile. On n’est pas à Bangkok, c’est plus local ici. Il n’y a pas beaucoup de personnes qui parlent anglais. J’ai la chance d’avoir l’entraîneur adjoint qui vient de Singapour et qui parle anglais, mais aussi le préparateur physique qui est belge et qui parle français.
Le côté financier, ça a joué pour votre venue ici ?
Vu que je n’avais rien nulle part... Mon salaire, ici, c’est quelque chose dont je n’espérais même pas le tiers en Europe. Tu vis super bien en plus ici ! Et vu qu’on n’est pas trop loin de Bangkok, à deux heures on va dire, j’y vais régulièrement les week-ends. Mais dans le van, c’est le luxe aussi, tu peux tout y faire, boîte de nuit etc...
«Mon salaire, ici, c'est quelque chose dont je n'espérais même pas le tiers en Europe. Tu vis super bien en plus ici ! Et vu qu'on n'est pas trop loin de Bangkok, à deux heures on va dire, j'y vais régulièrement les week-ends.»
«La Thaïlande, c'est un pays qui attrape»
En tout cas, ça a l’air de marcher pour vous. Vous faites déjà partie des meilleurs buteurs du Championnat...
Les gens qui me disent "oui, c’est que la Thaïlande", je leur réponds que ça n’a rien à envier au Championnat écossais, que j’ai pu connaître. Et je dis ça sans le dénigrer. Les gens ne sont pas là pour glander ou pour prendre leur argent. Je suis attendu, oui, c’est sûr. J’ai le but dans le sang, mais le plus important, c’est la victoire de mon équipe. Je ne me suis pas fixé de nombre de buts. La Fédération, les présidents de clubs, ils font tout pour que ça se passe bien. Il y a un engouement ici pour le foot ! La Thaï League, elle a sa propre chaîne de télé, ils font de super reportages.
On ne voit pas vraiment ce qui pourrait vous faire quitter cet endroit du coup...
La Thaïlande, c’est un pays qui attrape. La gentillesse des gens, ici, ils ont toujours solution à tout, alors même s’il y a beaucoup de touristes et c’est normal, t’en prends toujours plein les yeux. Ça me permet de me refaire la santé ! J’ai un contrat jusqu’à la fin de la saison, en novembre, avec une option automatique d’une année supplémentaire en cas de maintien. Même si je n’ai que 31 ans, je profite de mes dernières années de carrière dans un endroit où il y a une grande qualité de vie, qu’est-ce que tu veux de mieux ? Je me sens bien, je n’ai pas spécialement envie de bouger. Que Chainat se maintienne et ça sera bon pour tout le monde !
Votre carrière est riche. Vous avez porté les couleurs de 12 clubs, dans 9 pays différents. Question pratique, combien de fois avez-vous dû changer de passeport ?
(rires). En Russie, ils sont chiants avec les visas. J’ai eu deux ans de contrat là-bas et j’ai dû en faire cinq ou six. Mais sinon, refaire mon passeport parce qu’il était plein, je l’ai fait quatre fois. Au total, et j’ai calculé il n’y a pas longtemps, j’ai dû visiter 57-58 pays, c’est pas mal... En fait, il n’y a que l’Océanie que je n’ai pas visité comme continent. Et l’Antarctique, mais qu’est-ce que tu veux que j’aille faire là-bas ? (rires).

Quel est le pays, du coup, qui vous a le plus marqué ?
Celui du football, évidemment : l’Angleterre ! C’est là où j’ai commencé à jouer dans des stades de folie. Pour mon métier, franchement, il n’y a pas mieux. Mes quatre années là-bas ont été énormes, on a gagné la Cup, la Carling Cup, la Ligue des champions, le Charity Shield... Et d’ailleurs, dans la nouvelle tribune d’Anfield, j’ai ma photo sur un mur. C’est parce que j’avais été élu homme du match lors de Liverpool-Olympiakos. Cette rencontre a été élue la deuxième plus belle de l’histoire à Anfield. Je suis à côté de Neil Mellor sur le mur, il avait marqué aussi ce jour-là. D’ailleurs, si je veux aller voir un match, n’importe lequel, on m’offre toujours deux places.
Quel est le plus grand joueur avec qui vous avez évolué ?
Steven Gerrard ! Il dégageait quelque chose et il faisait preuve chaque jour d’un grand professionnalisme. C’était quelqu’un de très apprécié. Ce qui est marrant, c’est que mon chauffeur aujourd’hui en Thaïlande l’avait conduit lorsque Liverpool était venu ici.
En 2008, vous avez connu votre unique sélection chez les A en équipe de France. Est-ce le sommet de votre carrière ?
Oui et non. Toucher à quelque chose, c’est bien, mais y rester, c’est mieux. Je n’ai pas eu la chance d’y retourner ensuite, c’est un petit regret. J’aurais aimé connaître ça davantage. Une fois que t’es appelé, tu sais que t’as les qualités pour y être. Mais, à ce moment-là, j’y suis aussi parce que (Diego) Forlan est blessé, que j’ai mis quatre ou cinq buts et que je suis le meilleur buteur de Liga. Quand Forlan revient, il inscrit un triplé et termine la saison Soulier d’Or...
Quand vous regardez dans le rétroviseur, vous vous dites quoi sur votre carrière ?
Le seul regret de ma carrière, c’est d’être parti comme ça de l’Atletico pour le Sporting Portugal. On m’avait fait comprendre qu’il fallait que je quitte le club car il était en difficulté financière. Il avait besoin de se refaire. Il y a eu une offre intéressante et je suis parti. Après, là-bas, au bout de trois-quatre mois, il y a eu un changement de président et il fallait désigner un coupable. C’était moi... Ma carrière, je pense qu’elle aurait pris un autre tournant sans ce transfert au Sporting. C’était le choix du moment, j’avais 21 ans, j’avais envie de jouer. J’aurais dû être plus patient.

Effectivement, comme vous l’avez dit plus haut, vous avez subi trois opérations des genoux…
J’ai eu trois croisés, un au genou gauche, deux au genou droit. En 2005, le professeur Jaeger m’en a réparé un. Il n’a jamais lâché. Ensuite, je me suis fait opérer à l’autre genou par un chirurgien différent et ça a pété. Du coup, je me suis fait réopérer par le professeur Jaeger, qui sort parfois de sa retraite. Depuis un an et demi, ça tient nickel. Si j’ai des grosses cicatrices ? Oui, j’ai des balafres, ce n’est pas très esthétique. Le professeur Jaeger passe plus de temps à refermer les plaies qu’à opérer vraiment (rires). J’ai déjà eu entre 25 et 30 agrafes sur le genou, mais tout va bien désormais. Je suis toujours revenu, j’ai toujours fait preuve de détermination. Il faut un certain d’état d’esprit pour revenir de trois croisés. Et puis, dans un sens, merci, car je suis en train de vivre un truc extraordinaire en Thaïlande.
On ne le sait pas, mais l’attaquant qui vous a remplacé à l’Atletico n’est autre que Diego Costa. Parlez-nous un peu de lui...
En fait, quand je pars au Sporting, le club n’a plus d’argent et récupère Diego Costa qui était en prêt. Ça m’est déjà arrivé de m’entraîner avec lui, c’est un fou furieux, comme à la télé. C’est à mourir de rire. Sinon, c’est un déconneur de première, mais après sur le terrain, il a besoin d’être en colère pour être bon.
Je vous laisse conclure l’interview. En thaïlandais évidemment…
Khop khoen krab ! (Merci, ndlr)
En 2001, vous étiez champion du monde U17 avec les Bleuets à Trinité-et-Tobago. Quels sont vos souvenirs ?
Je suis fier et content de ça, c’est clair. J’avais été le meilleur buteur du Tournoi. Je suis un homme de records (rires). Faut m’avoir au bon moment... Après, mon parcours m’a fait comprendre qu’il ne faut pas vivre avec le passé. Ce qui me motive, c’est de voir le nombre de sacrifies que j’ai pu faire pour en arriver là.
«Je suis toujours revenu, j'ai toujours fait preuve de détermination. Il faut un certain d'état d'esprit pour revenir de trois croisés.»
Propos recueillis par Tanguy Le Seviller Suivre @TANG_Foot