(L'Equipe)

La régularité paie-t-elle ?

«Il a encore fait son match». L'expression salue le joueur qui, quel que soit l'adversaire ou la prestation du reste de l'équipe, est capable de répéter des performances d'un niveau égal. Voilà une qualité rare qui pourrait être valorisée dans la rémunération du joueur. Est-ce seulement le cas ?

La littérature académique a toujours été abondante sur la question de la rémunération des athlètes. Constatant dans les grands Championnats européens comme dans les Ligues majeurs américaines de hauts niveaux de rémunération travaillés par l'inflation, les économistes du sport ont ainsi publié de nombreux articles détaillant les déterminants du salaire d'un joueur. La théorie économique classique enseigne que les salaires reflètent la contribution de chaque salarié à la production. Le sport spectacle présente une caractéristique particulière : il existe des mesures de productivité pour chaque travailleur.

Le sport génère en effet une impressionnante batterie de statistiques qui permet d'objectiver la prestation du footballeur. Peut-on alors expliquer le salaire d'un footballeur selon le nombre de buts inscrits ? Les duels gagnés ? Le pourcentage de passes réussies ? Puisqu’un joueur est recruté pour un talent particulier qui doit contribuer à la victoire, on cherche alors à mesurer la productivité marginale du joueur (autrement dit sa contribution à la victoire de l'équipe) et à déterminer si le joueur perçoit une juste rémunération. Dans le cadre des sports collectifs, au delà de la performance, de nombreux autres facteurs déterminent la rémunération d'un athlète : son âge (le niveau de salaire suivrait alors un U inversé), son nombre de sélections, sa réputation ou encore sa position sur le terrain. En somme et fort logiquement, plus un joueur est expérimenté, talentueux, performant et positionné sur le front de l'attaque, mieux il sera payé. 

Le porteur d'eau est mal payé

Commentant un match, n'avez vous jamais dit d'un joueur «il est régulier», tout comme s'il présentait une capacité à répéter des prestations d'égal niveau ? On devine qu'un tel footballeur, pas toujours exceptionnel mais jamais vraiment mauvais, est un élément rassurant pour un entraîneur. Christian Deutscher et Arne Büschemann, deux universitaires allemands, ont cherché à comprendre si la constance de la performance des joueurs jouait un rôle majeur dans la rémunération des footballeurs. Ils ont publié les résultats de leur recherche dans le très réputé Journal of Sports Economies ("Does Performance Consistency Pay Off Financially for Players ? Evidence From the Bundesliga", Journal of Sports Economics 2016, Vol. 17(1) 27-43).
 
Ils ont observé cinq saisons de Bundesliga (de 2005-2006 à 2009-2010) et compilé 34 413 observations sur 845 joueurs. En résumé, les auteurs ont construit une base de données intégrant la rémunération des joueurs et la qualité de leur performance sur la base des notes attribuées dans le journal spécialisé Kicker Sportmagazin. Ils ont ensuite construit un indicateur de la variance de la performance pour le confronter à l'évolution des salaires. A leur surprise, il n'est pas possible de confirmer un tel lien. Selon eux, un entraîneur semble préférer le joueur imprévisible ou à la performance peu prévisible qui, dans un bon jour, peut faire la différence... mais aussi passer totalement au travers dans un mauvais. Les auteurs montrent qu'un joueur inconstant serait même plutôt mieux payé car ils sont aussi ceux qui sont en mesure de faire basculer un match. On pourrait presque imaginer une stratégie certes risquée d’une équipe composée de joueurs inconstants mais capables de tout, quitte à opérer des changements en cours de jeu. L'infatigable travailleur de l'ombre, le porteur d'eau comme on l’appelle souvent, lui, restera au barreau du dessous dans l’échelle des salaires. 
 
Boris Helleu
Maître de conférences à l’université de Caen
Blog : Hell of a Sport