«C'était un truc de malade. J'avais l'impression de jouer au Bayern Munich !» De son propre aveu, Yann Kermorgant a vécu la semaine passée «le meilleur moment» de sa carrière en arrachant le titre de Championship, la deuxième division anglaise, avec Bournemouth. La parade qui a suivi dans les rues de la ville a permis aux supporters des Cherries de fêter dignement leur première montée en Premier League. «On a vécu dix jours de folie», résume l'attaquant de 33 ans, auteur de 15 buts (dont le plus beau de la saison) et 11 passes décisives pour permettre à son club, au bord de la banqueroute en 2008, d'enchaîner une troisième accession en six saisons.
En août prochain, Yann Kermorgant va donc lui aussi découvrir pour la première fois la Premier League, après avoir acquis une vraie reconnaissance dans l'antichambre de l'élite anglaise. Lui-même n'y croyait presque plus : «Ça commençait à sentir le roussi. Je me sens encore jeune, je suis bien physiquement, mais il n'aurait pas fallu attendre trop longtemps. Je ne m'attendais plus forcément à ce que ça arrive un jour, même si c'était toujours un objectif. Cette montée, c'est le Graal. Je ne rêve plus de gagner la Ligue des champions ou la Coupe du monde, donc la Premier League, c'est le maximum que je pouvais espérer !»
«Si j'avais eu ma chance, je pense que j'aurais réussi en L1»
Dans quelques mois, le natif de Vannes vivra simplement la deuxième saison de sa carrière en première division, après son expérience «cauchemardesque» en France avec Arles-Avignon en 2010-2011. Son histoire avec la Ligue 1 est d'ailleurs tout sauf une histoire d'amour. Comme en Angleterre, Kermorgant a été un joueur reconnu en L2, mais n'a jamais vraiment eu sa chance plus haut. «Quand je me vois jouer, je peux imaginer ce que les clubs de L1 peuvent penser, explique-t-il en référence à son profil atypique. Mais quand tu suis un joueur sur la durée et que tu vois ses stats… Les miennes ne mentent pas, elles ont toujours été bonnes. En Angleterre ils jugent un peu différemment.»
Il faut dire que l'ancien joueur de Vannes, Grenoble ou Reims a un style un peu hors du temps, loin des standards des joueurs du XXIe siècle. Et quand certains débutent attaquant avant de se retrouver latéral, Kermorgant fait le chemin inverse, et brille dans un rôle de neuf et demi qui n'existe pas (ou peu) en France. Pas de quoi cependant créer de la rancœur dans son esprit : «Forcément, je suis déçu de ne pas avoir eu ma chance, parce que je pense que j'aurais réussi. Mais j'avance sans regarder en arrière, sinon on ne vit qu'avec des regrets. Je pourrais dire que je ne comprends pas trop pourquoi je n'ai pas eu ma chance en France alors que j'avais fait de bonnes saisons en L2, que j'y étais reconnu. Peut-être que c'était aussi par rapport à mes problèmes de santé… Je ne sais pas.»
Une leucémie à 14 ans, un premier contrat pro à 23
Ses problèmes de santé, Kermorgant les a connus il y a maintenant près de vingt ans. Alors qu'il venait d'intégrer le centre de formation du Stade Rennais, il a vu ses rêves brisés par une leucémie. «A l'époque, je n'avais pas pris conscience de la gravité de mon état. A 14 ans, j'étais plus choqué par le fait qu'on me dise que je ne rejouerais plus au foot, que je ne pourrais peut-être même plus marcher normalement, que par le fait de devoir me battre pour vivre. Ça m'a peut-être aidé, parce que du coup j'ai un peu occulté le fait que je jouais ma vie.» Aujourd'hui encore, il avoue repenser «pratiquement tous les jours» à cette période. «C'est mon moteur quand je m'entraîne. Les moments que je vis aujourd'hui, je n'aurais pas dû ou pas pensé les vivre, ça me permet de les savourer à chaque fois.»
Après une longue convalescence, le Breton a finalement gravi les échelons un par un, d'un Championnat de district à 19 ans à son premier contrat professionnel signé avec Grenoble quatre ans plus tard. Le chemin parcouru force le respect, et Yann Kermorgant attend désormais avec impatience (et détermination) de se rendre à l'Emirates Stadium, Old Trafford ou Stamford Bridge. «Je n'ai aucune appréhension ! Ça va être un plus gros challenge parce qu'à mon âge, ce sera encore plus compliqué de faire ma place. Mais j'aime bien les challenges…»
Cédric Chapuis, @cedchapuis