[Grand Format] Portrait : Romain Faivre (Brest), le patient irréductible
Raconter l'histoire de Romain Faivre, une des révélations de cette saison de L1, c'est comprendre qu'à 22 ans, au-delà de qualités techniques et footballistiques indéniables, le Brestois est paré mentalement pour voir très loin. Récit en grand format d'un parcours où il aurait pu abandonner bien plus d'une fois.
Timothé Crépin (avec Samuel Zemour)
mis à jour le 22 décembre 2020 à 17h31
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Si Romain Faivre, l'actuel Brestois, et Obélix, avec ses menhirs, ont la Bretagne en commun aujourd'hui, ils sont également chacun tombés dans la marmite étant petits. Et pour le gaucher du SB29, la potion avait un goût de football. Hauts-de-Seine. Né à Asnières-sur-Seine deux jours après le sacre des Bleus en 1998, Faivre débarque dans une famille recomposée où le ballon rond est très bien installé. Un père, Marc, originaire du Doubs, qui s'est souvent rendu au stade Bonal, qui a grandi avec l'épopée des Verts en Coupe d'Europe et avec le FC Nantes dans les années 80. Responsable dans une entreprise de cosmétique de luxe, où travaille également la maman de Romain, elle bien moins friande de ballon rond, le papa voit très vite son enfant se diriger vers le foot. «Je crois qu'il a tout de suite tapé dans un ballon dès qu'il a su courir et marcher», sourit le paternel. Mais il n'y a pas que le père. Les deux grands frères, Lenny et Yohan, sont également à fond football, et la situation géographique du foyer familial, à Gennevilliers, n'est également pas anodine : car si les couloirs de la résidence, avec un ballon en mousse, ont souvent servi pour des "goal à goal" passionnés, dehors, les terrains de jeux n'ont pas manqué. «Dès qu'il a pu sortir, ma mère m'a dit qu'il fallait que je le prenne avec moi, raconte Lenny, le frère. Quand il a été en âge de comprendre quelque chose, il a compris qu'il était dans une famille de football.»
A moins de cent mètres autour de l'appartement, le trio, rejoint par le père le week-end, va taper le ballon sur différentes "enceintes". Un petit parc à cinquante mètres de la maison où les toboggans sont utilisés pour délimiter un terrain en L, un terrain en bitume, mais aussi le stade voisin, en stabilisé. «On a vite compris qu'il allait sauter quelques classes, constate encore Lenny. Il a été amené à jouer avec des joueurs plus vieux que lui. Il avait le droit : c'est le ballon qui parlait. Il avait déjà le niveau de certains potes de notre âge.» Et quand on sait que huit ans les séparent, on comprend alors que le jeune Romain a quelque chose. «C'était le seul petit à jouer avec nous», confirme Yohan, le second frère. Mais toujours avec décontraction et plaisir de ce foot de l'enfance. Yohan se souvient : «Même quand on partait en vacances, on jouait souvent au foot. On allait à Port-Barcarès (Pyrénées-Orientales) et on faisait des tournois de foot de plage. On en a gagné pas mal. Un jour, Romain tombe sur le ballon, qui se retrouve sous sa tête. Il en rigole et il commence à bronzer, à mettre ses mains sur sa tête en tapant la pose. En plein match. Ça nous a fait rire.»
Gennevilliers, les premières émotions et les premiers pas pour le très jeune Romain Faivre (en bas à gauche).
Impatience... et fausse licence
C'est l'évidence, Romain Faivre, qui dévore les cassettes, les vidéos et qui passe même des heures sur des jeux de foot dès son plus jeune âge (quand on vous dit qu'il est tombé dedans !), va intégrer un club de foot. Pourtant, le papa ne lui met aucune pression. «Je ne l'ai jamais poussé, promet Marc Faivre. Je l'ai même peut-être un petit peu délaissé à l'époque car je voulais qu'il décide de lui-même, s'il aimait le sport. Avec sa mère, on l'avait inscrit dans un multi-sports pour qu'il en choisisse un. Parce que pour nous, l'équilibre de l'enfant, c'est le sport, on voulait absolument qu'il en choisisse un. Il a pris le football.»
La première licence est signée à l'Entente Sportive Gennevilloise en 2005. Mais, le feu dans les jambes et l'envie débordante, Romain avait en fait déjà évolué avec le club alors qu'il n'avait pas encore l'âge... avec une fausse licence. «Il était déjà fort, confirme Lenny. C'était un petit du quartier, tout le monde savait qu'il était là pour le ballon. Je crois qu'ils l'ont autorisé à jouer avec des poussins. Le ballon lui arrivait à la taille du genou, mais il envoyait déjà beaucoup de crochets. C'était un fin technicien, il a toujours eu cette culture du dribble. Petit, pour s'adapter, il a trouvé la culture de la feinte pour rivaliser face à des plus grands.» Et qui de mieux que Ronaldinho comme référence pour le faire toujours frémir ? Fan du Barça dans son enfance, Faivre adore le Ballon d'Or France Football 2005, «c'est celui qui l'a le plus fait rêver, mais il m'a bien fait chier aussi avec son Neymar, sa façon de dribbler, sourit Lenny, plutôt porté sur le PSG avec Yohan. Moi j'étais fan de Thierry Henry. Quand Romain était petit, il en a mangé».
«Ils l'ont autorisé à jouer avec des poussins. Le ballon lui arrivait à la taille du genou, mais il envoyait déjà beaucoup de crochets. C'était un fin technicien, il a toujours eu cette culture du dribble.»
Avec Romain Faivre (à gauche) et ses frères, le foot fait vibrer tout le foyer à Gennevilliers.
Au nom du père
Faivre ne reste qu'un an à Gennevilliers, qui devient vite trop petit pour lui. Et c'est le jeune Romain qui en persuade son père. «Au début, je n'allais même pas le voir. C'est lui qui m'a dit : "Papa, je voudrais jouer à un meilleur niveau, j'aimerais bien connaître quelque chose de mieux." Tout le monde lui disait qu'il ne fallait pas qu'il reste là. A partir de là, je ne l'ai plus jamais lâché.» Entre le Red Star et le Racing Colombes, c'est le second qui accueille Romain. Il y reste six années. «Le Racing, c'est la deuxième maison, sourit le papa. Il a tout de suite été un milieu axial, un numéro 10. Je n'ai pas manqué un seul match.» Et peut-être bien plus encore. «C'était un joueur sérieux, mais son père l'a aussi encouragé encore davantage, confesse Malik Faradji, éducateur de Faivre pendant deux ans à Colombes. Il a assisté à tous les entraînements, tous les tournois, toutes les compétitions. Il était toujours là ! Mais sans être envahissant. C'est aussi pour ça que son fils a réussi.» Face aux équipes du PSG, aux équipes professionnelles françaises et même la Juventus Turin, Romain Faivre impressionne et détonne. Malik Faradji se souvient trop bien par exemple de ce coup franc des vingt-cinq mètres de son poulain face au PSG. «Ça se voyait qu'il était trop fort, renchérit-il. Il avait la vision du jeu. Physiquement, tactiquement, il était bon. Et il était surtout à l'écoute.» Pour les frères, le Racing n'est surtout pas à oublier dans le parcours du cadet : «C'était un petit diamant, ils ont commencé à le tailler», estime Lenny, quand Yohan promet que «ç'a été le club qui a pu lui permettre d'atteindre le niveau qu'il a aujourd'hui».
Le foot, oui, mais l'autorité parentale parvient à le garder concentré en classe. L'écolier Faivre est «très, très sérieux, dixit Yohan. Ses parents étaient très durs sur ça. Il avait de très bonnes notes.» «Il faisait partie des meilleurs élèves jusqu'à Tours, avant que le football ne prenne malheureusement le dessus quand il est entré en centre de formation, regrette presque Marc Faivre. Il a même eu son Bac STG. Je dis malheureusement : quand votre enfant part faire du football, on ne sait pas ce qu'il va se passer. Beaucoup de candidats, peu d'élus. Et l'école était un critère très important. Pour ça, il était armé.»
Juillet 2005, futur numéro 10.
D'abord déçu de le voir partir au Mans car il allait le récupérer chez les U17, Christian Mbouma voit revenir Romain. «J'étais content car je savais quel joueur c'était, narre-t-il. Il était très beau à voir jouer. Mais il sortait d'une grosse déception et, dans sa tête, ça n'a pas été facile. Je savais qu'il n'était plus à sa place au Racing et je me souviens que son père m'avait dit : "Il faut qu'il parte." Je lui ai répondu : "Laissez-moi faire, il ne sera plus là à la fin de l'année".» Christian Mbouma est épaté : «Il n'avait pas des très bonnes qualités athlétiques et avait juste du mal à faire les efforts défensifs, car ce n'était pas son jeu, mais sa vista était incroyable. Parfois, il mettait tous ses adversaires et même ses partenaires dans le flou.» L'éducateur en devient même rigoureux sur les moindres détails : «Il était légèrement distrait avant le début des matches. Souvent, je le lui disais : "Dépêche toi, habille toi, arrête de regarder ton téléphone". Mais sur la dernière partie de saison, j'ai compris qu'il était dans une autre dimension car je n'avais plus rien à lui dire. Il a survolé le dernier tiers du Championnat.» «Ce n'était évidemment pas Lionel Messi, mais c'était un vrai joueur de foot», relate également Robert Hadmar, ex-responsable des jeunes à Colombes.
Le Mans, l'envol raté
2013. Le moment du premier envol. Centre de formation reconnu, à deux heures à peine du domicile : Le Mans est choisi par les Faivre. Le club de la Sarthe, comme d'autres écuries professionnelles, avait été notamment subjugué en 2011, lors du très relevé challenge de Guipavas, dans le Finistère (déjà). En finale, Laval ne peut rien faire face au Racing Colombes. Défaite 2-0, doublé de Romain Faivre, dont un superbe but longue distance... «Au Mans, on se dit : "Ça y est, ça va commencer"», se rappelle Lenny. Mais Faivre le Manceau, cela ne dure même pas six mois. Manque de chance, cela coïncide avec les déboires du MUC 72, en liquidation, qui sombre dans les bas-fonds du football français. Retour à Colombes. Si le caractère se forge une première fois avec cette épreuve, il faut repartir de zéro. «C'est un peu dur, veut bien reconnaître Marc Faivre. Tout se passe en cours d'année. Il revient au Racing, mais comme il a joué en Nationaux avec Le Mans, il n'a pas le droit de reprendre la compétition au même niveau puisque le Racing est dans le même groupe. Il faut retrouver un lycée qui puisse le prendre. On trouve un établissement privé. Heureusement qu'il avait un bon parcours scolaire.» Mais entre un mélange de culpabilité et d'optimisme, c'est plutôt le second aspect qui l'emporte. Marc Faivre toujours : «Il a le niveau supérieur mais il doit jouer à l'échelon inférieur. Mais comme j'ai une confiance absolue en ses qualités, ce n'est pas un échec. Je sais que ça va revenir. Je sais que ça va marcher. Mais je ne voulais pas l'étouffer avec ça, pas lui pourrir la tête. Et c'est le cas encore aujourd'hui. Je savais que ça faisait beaucoup pour un enfant, je l'encourageais, je lui disais qu'il allait rebondir. Et lui aussi y croyait.»
«Sa vista était incroyable. Parfois, il mettait tous ses adversaires et même ses partenaires dans le flou.»
Comme prévu, Romain Faivre va cette fois vraiment partir du Racing. Tours obtient sa signature. Un peu trop précipité selon Christian Mbouma. «Il avait reçu des offres plus en adéquation avec ce qu'il valait. Il devait faire un essai à Lorient en 2014, mais il n'a pas pu s'y rendre à cause d'une grosse tempête. Nice était d'accord pour le prendre mais comme il avait signé à Tours, il ne pouvait plus changer d'avis.» Caen et l'ESTAC sont également là. «Lors du dernier match de la saison, Romain fait une prestation de dingue et le recruteur de Troyes me dit : "C'est qui le 10 ? Tu me le fais signer tout de suite !" Il était fou de rage quand il a compris...»
Comme plusieurs autres intervenants, Christian Mbouma retient aussi le caractère de Romain Faivre. Un juste milieu entre respect et ambition. «C'est quelqu'un qui ne fait pas de bruit, qui ne manque jamais de respect, son père lui a donné une éducation saine, promet-il. C'est un ambianceur, chambreur, il n'a aucun problème d'intégration. Il ne va pas chercher des noises, mais il ne se laissera pas faire sur le terrain avec coéquipiers, sans jamais d'excès physique ou de langage.»
Faivre, sur la rangée du bas, quatrième en partant de la gauche, époque Racing.
Et, comme toujours, l'envie de progresser et d'aller voir plus haut viennent très rapidement. Sauf que, là encore, le contexte du club ne va pas l'arranger. Car en 2018, alors que Faivre paraphe son premier contrat professionnel, ça se corse sérieusement pour Leonardo Jardim sur le banc de l'ASM. Pas simple. «On s'aperçoit que, pour un jeune, ce n'est pas évident d'aller dans la cour des grands, estime Marc Faivre. Romain a fait quelques entraînements, la préparation, mais on a ressenti que Jardim aimait l'expérience, les joueurs cadres, avec un statut. Et il voyait Romain plus défensif.» Sauf qu'en octobre, le technicien portugais chute du Rocher. Thierry Henry débarque. La chance tourne enfin. «Thierry Henry, c'est différent, c'est un joueur de foot, il remarque les qualités de Romain et lui dit, s'enthousiasme le père Faivre. Il le gardait dans le groupe.» Le 22 décembre, Romain Faivre est titulaire pour sa toute première chez les pros en Coupe de la Ligue face à Lorient (1-0). Il dispute 89 minutes. Puis l'intégralité de la rencontre trois jours plus tard, cette fois en Ligue 1, avec le numéro 31, mais avec une défaite à Louis-II devant le Guingamp de Jocelyn Gourvennec (0-2). Canet-en-Roussillon en Coupe de France, Rennes en Coupe de la Ligue, les fêtes de fin d'année ne dissuadent pas Thierry Henry de faire confiance à son gaucher. Mais le meilleur buteur de l'histoire de l'équipe de France prend très vite la porte.
«C'est qui le 10 ? Tu me le fais signer tout de suite !»
Le mauvais Tours
Le prochain arrêt sera donc Tours. Pour cette fois s'installer pour de bon dans un centre de formation. «C'est moi qui le vis peut-être un peu plus mal que lui, rembobine le papa Faivre au sujet de l'éloignement du domicile. Pendant douze ans, j'étais tous les soirs au stade avec lui. D'un coup, il n'est plus là, c'est dur !» Mais Marc Faivre ne lâche pas, bien au contraire : il est tous les week-ends dans la région des Tourangeaux pour assister aux rencontres de son fils. Quitte à faire exploser le compteur kilométrique. Et, là encore, tout ne va pas se passer sans embûche. Il démarre pourtant très vite avec la CFA. Mais la stabilité à la fois sportive et financière du Tours FC complique les choses. Alors qu'il le reçoit dans son bureau, Cyrille Carrière, directeur du centre, ne peut proposer qu'un contrat amateur à son jeune talent, dépité. «Quand on met des garçons très tôt en réserve, c'est qu'on est persuadés qu'ils vont percer, souligne Carrière. Mais il a fait partie de la période de Tours où il y a des garçons qu'on n'a pas forcément pu mettre sous contrat, avec aussi Frank Kessié et Colin Dagba. On lui a proposé un contrat amateur alors qu'il méritait mieux...» Cyrille Carrière se remémore un Romain Faivre«un peu rebelle, un peu excessif par moments, mais ça prouvait qu'il avait du caractère. C'est pour ça qu'il est là-haut aujourd'hui : ce ne sont pas les agneaux qui s'en vont au haut niveau».
Mais le formateur se souvient également d'un moment de bascule. En 2016-17, Romain Faivre, à peine 18 ans, reprend avec le groupe professionnel. Pendant trois semaines. Avant de redescendre. Un ascenseur que Faivre vit mal, forcément. «Dès l'instant où ils sont basculés en pros, c'est très compliqué, dépeint-il. Derrière, il ne signe pas ce contrat qu'il méritait et on l'a perdu immédiatement.» «Romain l'avait parfois mauvaise, acquiesce amèrement Marc Faivre. Il déchirait tout avec l'équipe B. Il se "vengeait" comme ça. A Tours, ils ne lui ont pas donné sa chance.» Argument réfuté par Cyrille Carrière : «C'est une pure connerie. Il fait partie des garçons à qui on voulait proposer un contrat, mais qu'on n'a pas pu faire. Ce n'est pas une volonté interne. On a eu un problème financier. On était les premiers à savoir qu'on n'allait pas le garder et on en était les premiers peinés. On croyait en ce garçon, on savait qu'il était d'un calibre supérieur. Sauf qu'il faut tomber sur les personnes qui n'hésitent pas à lancer des jeunes alors que le club est en difficulté...» En réalité, d'abord titulaire d'un contrat aspirant, Romain Faivre n'obtient pas de contrat stagiaire en U19. Tours a des doutes, notamment côté athlétique, Faivre ayant été touché par quelques blessures, notamment une sérieuse à la jambe. Frédéric Voisin le coache alors en U19 : «Quand je le retrouve avec moi, il est libre ! Il était prévu que le club revoit sa position en fin d'année. Dès avril-mai, j'étais allé voir le directeur sportif pour lui dire que si on voulait le garder, il fallait lui proposer quelque chose... Cela ne s'est pas fait. On a marqué 145 buts sur la saison, il était l'artisan de tout ça. C'était un joueur hors norme, toujours imprévisible, mais aussi attachant et méritant. Car il faut être honnête : à Tours, il a galéré.» Rien qu'en abordant le sujet, Marc Faivre, soucieux de mettre les mauvais souvenirs au placard, préfère zapper. «Sur la fin, c'était horrible. A la fin, ça tombait en ruines. J'ai sorti Romain du centre et je lui ai pris un appartement que je payais.»
Romain Faivre, alias Hatem
Trop c'est trop. Monaco, dont le recruteur rend de nombreux rapports sur Romain Faivre, flaire la bonne affaire. Changement total de cadre et de nouveaux espoirs qui naissent. «On se rend compte qu'on est dans une structure où il peut y avoir quelque chose au bout, poursuit le papa qui, cette fois, doit se contenter de rares séjours en Principauté pour assister aux exploits du fiston. Il y a du beau monde, il chope une place de titulaire tout de suite en N2. Son entraîneur croit en lui. Ça motive Romain. Il ne triche pas, il se défonce tout le temps.» Sous les ordres de David Bechkoura, Faivre est très vite indispensable. Les qualités sont là. «Il pouvait aussi être très chiant, remarque Jordy Gaspar, coéquipier en terres monégasques, avec le sourire. Il ne défendait pas ! Il était un milieu, un 8, pas un 10, et il fallait défendre. On se crêpait le chignon. Mais sinon, Romain, il a la classe, il était bon délire. Il y a des moments, sa tête tourne, et d'autres, il n'a pas envie de réfléchir. C'est un foufou. On l'appelait Hatem, en référence à Ben Arfa. Physiquement, il a la même tête. Niveau joueur, ils se ressemblent aussi.»
Quand Thierry Henry croit en Romain Faivre.
Deux jours plus tard, alors que Leonardo Jardim a été rapatrié, Monaco se déplace à Dijon. Initialement prévu dans le groupe pour se rendre à Gaston-Gérard, Faivre y est éjecté. «Romain a disparu du groupe, des entraînements. Jardim a repris ses vieilles habitudes, constate Marc Faivre. Je m'en rappellerai toujours.» Retour en réserve. «Ce n'était pas mérité, souligne Jordy Gaspar. C'était décevant pour lui car il avait su saisir sa chance. Mais cela ne l'a pas tué.»
Depuis, c'est l'éclate. Comme si Faivre avait fait exploser toute cette bulle de frustration cumulée depuis toutes ces années. S'il avait certainement hâte de rattraper le temps perdu, il fait encore mieux que ça. «Quand je le vois à Brest, narre Robert Hadmar, de Colombes, je n'ai pas l'impression de voir un joueur différent de celui que j'ai vu quand il avait 14 ans. Parfois, ses actions me rappellent ce qu'il faisait au Racing.» Seize matches de Ligue 1, quatre buts (dont un face à... Monaco), trois passes décisives avec le SB29, équipe plaisir de cette première moitié de saison. Le mariage est idéal. Faivre, aligné comme relayeur, fait merveille, notamment dans sa qualité de passe et son intelligence dans le placement. Tout en n'oubliant pas son goût pour le dribble. Il est d'ailleurs le deuxième du Championnat à en réussir le plus. «Le petit pont, il n'en tente pas assez, sourit Lenny, le frère. Normalement, il en met beaucoup plus. Mais c'est la Ligue 1, il faut qu'il soit sérieux. Des fois, je lui envoie des messages pour le déstresser un peu. Cela permet de lui rappeler que le foot n'est qu'un amusement. Si tu peux nous faire rêver, vas-y ! Si tu peux dribbler, vas-y dribble. Fais toi plaisir ! Et si ça paye, tant mieux.» «Nous, le foot, c'est avant tout de la beauté, de l'art, on aime beaucoup les gestes techniques, dit Yohan, l'autre frère, comme pour résumer la philosophie familiale. Les crochets longs, avec le plat du pied, il les réussit plutôt pas mal. Aujourd'hui, on va lui dire ce qui est bien, et on ne va pas le rater sur ce qu'il fait mal. On va surtout lui donner des conseils. Mais on le laisse vraiment faire son foot.»
Le jeune Romain Faivre lors de sa toute première chez les pros avec Monaco face à Lorient. (F.Porcu/L'Equipe)
Monaco souhaite prêter son joueur au Cercle Bruges, club satellite. Refus du camp Faivre. Le père s'explique : «La visibilité était meilleure en France. On avait examiné tout ce qu'il se passait. Ce n'était pas une promotion d'aller en Belgique. On savait que c'était dangereux mais on a pris le risque.» Faivre n'avance plus. Brest, déjà, Lorient et des clubs de Championship viennent aux renseignements. Monaco ferme. Sans se décourager, malgré une frustration réelle, Romain Faivre effectue une saison 2019-20 très aboutie en N2, avec notamment des matches de Premier League International Cup, sorte de "petite soeur" de la Youth League avec des effectifs de U23. Faivre joue contre Arsenal, Southampton, le Feyenoord (face à qui il marque un penalty).
Acheté 400 000 euros par Brest
A 21 ans, après un nouvel exercice loin du haut niveau, il est l'heure de se lancer. Et donc de quitter la Principauté. Mais il faut croire qu'il n'a pas tout perdu non plus en restant un an de plus loin des projecteurs. Car c'est bien en Ligue 1 où il atterrit le 30 juin dernier. Le Stade Brestois finit par obtenir sa signature. Coût estimé : 400 000 euros, bonus compris.
Quatre matches sur deux rassemblements. Trois titularisations. Et Sylvain Ripoll enchanté par ce qu'il a découvert : «J'ai vu deux ou trois matches amicaux de Brest en début de saison, ç'a tout de suite suscité de l'intérêt, raconte le sélectionneur des Bleuets. Avec une technique très marquée. J'ai trouvé un garçon très intéressé par le jeu, par les sensations collectives. Romain, c'est une empreinte technique. Il a un bagage offensif assez complet. Il a la faculté à gérer le rythme des matches : il sait par exemple accélérer pour faire mal quand l'adversaire est déséquilibré. Il est juste et intelligent dans ce que le jeu réclame.» Jordy Gaspar enquille : «Romain, c'est le culot, l'audace, il n'a pas peur. Il est très sûr de lui, mais pas trop : il est à la moyenne de ce qu'il faut vis-à-vis de lui-même. Il me disait toujours de ne pas m'inquiéter. Il me répétait : "Le jour où je sortirai de Monaco, tu verras ce que je ferai."»
«Nous, le foot, c'est avant tout de la beauté, de l'art, on aime beaucoup les gestes techniques.» Yohan, le frère.
Aller plus haut, et assez rapidement
Savourer, oui, mais s'arrêter là, certainement pas. «Dernièrement, j'ai lu "Faivre remonte le temps". C'est ça, analyse Lenny. Le talent, il l'a. Il a toujours eu ce côté travailleur. Mais il préfère viser très haut, pour passer des paliers très vite. » «Quand on a beaucoup d'échecs, c'est dur de rebondir, remarque Yohan. J'en ai connu qui ont lâché pour moins que ça. Pour qu'il puisse exploser, il faudra qu'il voit plus grand. Un gros club français, ou à l'étranger. Il a le niveau d'aller plus loin, c'est une certitude. Sans dénigrer Brest, bien entendu, s'il était dans une équipe avec encore plus de joueurs techniques, ce serait plus flagrant.»
La prochaine étape de cette progression si ascendante pourrait être une participation à l'Euro Espoirs en 2021. Dans cette saison où tout va décidément très vite, Romain Faivre a enfilé le maillot de l'équipe de France pour la première fois en octobre dernier face au Liechtenstein. Avec un premier but.
Les Bleuets se sont imposés hier 5-0 face au Liechtenstein grâce à un doublé de Gouiri, un but d'Ikoné et de Faivre ainsi qu'un but contre son camp ! ? pic.twitter.com/pTAX6ASBrn
La malice de Guendouzi qui joue le corner rapidement pour Romain Faivre qui s'occupe du reste ?? Nos Bleuets mènent 3-0 à la mi-temps face au Liechtenstein ? #LIEFRApic.twitter.com/phWvgwoqXR
«Romain, c'est le culot, l'audace, il n'a pas peur. Il est très sûr de lui, mais pas trop : il est à la moyenne de ce qu'il faut vis-à-vis de lui-même. Il me disait toujours de ne pas m'inquiéter. Il me répétait : "Le jour où je sortirai de Monaco, tu verras ce que je ferai."»
Reste maintenant à observer si Romain Faivre saura combiner régularité et performance pour tout casser encore plus haut, encore plus loin. La route semble en tout cas désormais dégagée. «C'était presque prédestiné, termine Marc, son père, avec le sourire, comme subjugué. Cela aurait dû se faire depuis longtemps, mais il n'a pas eu cette chance. On a toujours été confiants. Il va aller loin ! Je suis convaincu que son nom ne sera un jour pas inconnu dans le monde du foot.» La potion de l'enfance aura alors été vraiment magique.