stopyra (yannick) (PICHON BOUTROUX/L'Equipe)

[Top 50 des matches de légende] 4e, Brésil-France 1986, avec Yannick Stopyra : «Un concert sportif»

Cette semaine, dans son nouveau numéro, France Football vous dévoile son Top 50 des matches de légende, ceux qu'il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie. A la 4e place figure le dantesque quart de finale Brésil-France de la Coupe du monde 1986. Yannick Stopyra raconte ses souvenirs.

Yannick Stopyra, 33 séléctions, 11 buts en équipe de France

«J’étais sur un nuage. Au tout début de la compétition, j’ai pris une place de titulaire. Arrivé ce fameux match, tout le monde parlait d’une finale avant l’heure. C’était l’événement. Tous mes sens étaient en éveil. La couleur éblouissante de ce stade, les travées, cette ambiance, la musique, c’était fou. Et puis, il y avait la proximité qui créait ce sentiment irréel. Aujourd’hui, ça n’existe plus. Maintenant, t’arrives dans ton coin avec ton bus, tu ne vois pas l’adversaire, il y a cent mètres d’écart entre les vestiaires… A Guadalajara, le stade est grand, mais à l’intérieur, dans les entrailles, ça m’a semblé minuscule. Vous ouvrez la porte de votre vestiaire et en face, c’est marqué "BRASIL". Quand vous voyez ça, vous vous dites que derrière, il y a Zico, Socrates… Moi j’ai 25 ans à l’époque, je suis encore un gamin, je joue à Toulouse. C’est fort ce qui se passe.
 
Dans notre vestiaire, il y avait une vraie atmosphère d’excitation. Tout le monde était énervé, ça bougeait dans tous les sens. Michel Platini était notre chef d’orchestre. Il parlait, il allait voir les uns les autres. Il sembalit être partout. Pour eux, la cicatrice de 1982 avait disparu. Il y avait une réelle volonté d’oublier, de passer au-dessus de ça grâce à ce Mondial. On est sortis en même temps que les Brésiliens. C’est l’heure. A cet instant, vous arrivez de sous terre, collés les uns aux autres, vous remontez, et cette lumière… Je me souviens de la réverbération de ces maillots jaune mythiques des Brésiliens. Dans les tribunes, c’est la samba, une agitation permanente, un concert sportif. Quand Maradona est mort dernièrement, on m’a souvent dit que c’était le plus grand. Pour moi, non. Le mythe, c’est Pelé. Ce maillot, c’est lui. Et en plus, il était dans la tribune. J’ai vu une photo de lui décomposé à la fin du match. La symbolique était forte pour moi.

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«Michel Platini me dit toujours : "T'as donné ton corps à la France"»

Les Brésiliens ouvrent rapidement le score (NDLR : 17e minute). Michel Platini s’affaire pour remonter le moral des troupes mais on sent qu’on n’est pas non plus surclassé. Il n’y a pas une fois où j’ai douté personnellement. On était bien organisés. Et l’égalisation arrive vite (NDLR : 41e). C’est une boutade encore avec Michel. Il dit tout le temps que je ne l’ai jamais fait marquer… Je lui dis : «Est-ce que tu comptes le but du Brésil ?». Sur l’action, je me télescope avec le gardien et il n’a plus qu’à marquer derrière. Michel me dit toujours : «T’as donné ton corps à la France». Je ne fais pas du tout le geste adéquat sur le coup. Je ne voulais qu’une chose, toucher le ballon. J’entends du bruit dans le stade, mais moi, je suis complètement sonné. Je vois Michel au loin faire le tour du stade, je suis à moitié groggy mais j’ai compris qu’on a égalisé.
 
Le match défile, la chaleur est étouffante mais je me sentais bien. J’étais prêt physiquement, j’avais une bonne condition, j’avais perdu du poids auparavant. Je volais. Les tirs au but arrivent. Notre entraîneur, le regretté Henri Michel vient me voir et me dit : «Yannick, tu tires.» Je lui demande s’il a bien fait le tour avec tout le monde. Il part, il revient : «Tu tires.» Je lui réponds : «Oui, mais sous une condition, je tire le premier.» Je suis quelqu’un qui vit beaucoup avec ses émotions, je me connais. Je ne voulais pas attendre. Luis (Fernandez, le dernier tireur français) je ne sais pas comment il a fait. Je voulais être libéré de ça au plus vite.

«Dans le vestiaire, c'était Brasil ! Jean Tigana chantait : "Brasil nananananananana !"»

A l’entraînement les tirs au but, c’est quelque chose de collectif, on se chambre, on en rigole. Mais là sur une série comme ça, un France-Brésil, un quart de finale de Coupe du monde... On ne fait pas les malins. Tu es tout seul au monde. Il n’y a personne pour t’aider. Tu vas au milieu du terrain et là… C’est long. Au moment de me diriger vers mon tir au but, je me dis qu’il ne faut que je sois trop émotif. Il ne faut pas que je tremble. Je ne voulais pas placer, si je place, je sais que je vais trembler un peu et que je n’appuierai pas assez. Je me dis alors : «Je vais frapper fort. Très fort. Mettre de la conviction et surtout, cadrer.» Et ça a bien marché pour moi.
 
Luis s’élance pour le dernier. Pour la gagne. Il a du cran. Ou pas d’ailleurs (rires). Parce qu’on en a toujours rigolé avec lui. «T’as choisi de tirer en dernier parce que tu espérais que ça se soit déjà joué avant ou tu pensais vraiment y aller pour conclure ?» Je vois le gardien partir à contre-pied et là pfff... C’est parti. C’est de la folie. Y a une continuité sur le terrain entre nous et les gens. Le stade était déçu mais il n’y avait pas d’hostilité envers nous. On se sentait un peu sur le toit du monde, on faisait partie des grands. Il y avait une vraie forme de respect des supporters adverses. Dans le vestiaire, c’était Brasil ! Jean Tigana chantait « Brasil nananana !». Comme je vous disais, vous ouvriez la porte à cinq mètres et en face, ça pleurait. Ils étaient complètement abattus… mais à cet instant, on est égoïstes. La peine des Brésiliens, on n’en a rien à foutre…»

J.T.

Retrouvez l'intégralité du classement de notre Top 50 des matches à revoir dans le France Football de cette semaine disponible en kiosque ou ici, en version numérique.

Je vois Michel au loin faire le tour du stade, je suis à moitié groggy mais j'ai compris qu'on a égalisé

Ils étaient complètement abattus en face, mais à cet instant, on est égoïstes. La peine des Brésiliens, on n'en a rien à foutre...