Jessy Moulin, le gardien de Saint-Étienne, a des regrets. (A. Martin/L'Équipe)
Avant Saint-Étienne - Lyon : Jessy Moulin, le patient stéphanois
À 35 ans, Jessy Moulin dispute sa première saison de Ligue 1 avec l'AS Saint-Étienne dans la peau du gardien numéro un. Un nouveau chapitre pour celui qui a oeuvré pendant plusieurs années dans l'ombre de Jérémie Janot et Stéphane Ruffier.
Il y a parfois des destins de vie qui s'écrivent rapidement, d'autres tardivement. Celui de Jessy Moulin s'enrobe dans la longueur et la patience. Alors qu'il a passé le cap de la trentaine depuis cinq ans, le gardien a enfilé, à la fin de l'été, le costume de numéro un dans les cages stéphanoises, le récompensant ainsi de sa fidélité au club. «Par rapport à ses qualités humaines, sa loyauté, son investissement personnel quand il n'était pas titulaire, c'est un beau clin d'œil du destin qu'il soit désormais numéro un», narre Patrick Guillou, ancien joueur des Verts et consultant à BeIN Sports pour la Bundesliga. Il est vrai qu'à Saint-Étienne, difficile de reprocher à Jessy Moulin son implication, ni même sa passion pour le club qui l'a construit de son adolescence à l'homme qu'il est aujourd'hui. «Il est arrivé de Valence à treize ans, mais il est devenu un vrai Stéphanois, confiait dans l'Équipe il y a quelques mois, Gilbert Ceccarelli, ancien portier de l'ASSE dans les années 1980-90. Il était déterminé, passionné et travailleur. Il a même fallu canaliser cette énergie.»
Cette énergie, il l'a mise au service du collectif pendant une décennie à jouer les doublures derrière Jérémie Janot puis Stéphane Ruffier. Sans jamais rechigner, se contentant du temps de jeu maigrelet qu'on lui offrait en Ligue 1 et dans les coupes nationales (seulement 28 rencontres disputées entre la saison 2010-11 et 2019-20). D'autres gardiens auraient sans doute été moins patients et seraient partis ailleurs afin de jouer. Logique sportive oblige. Lui a préféré rester et attendre avec calme et simplicité. Car Jessy Moulin a le maillot vert dans la peau. «C'est un gars de club, il sera toujours là pour l'ASSE, confie Adrien Blettery, journaliste à TL7. Il a toujours répondu présent quand il fallait jouer. Comme Stéphane Ruffier ne rentrait plus dans les plans de Claude Puel, c'était normal de voir Jessy Moulin prendre sa place.» Patrick Guillou complète : «Beaucoup de coaches sont passés par Saint-Étienne. Christophe Galtier, Oscar Garcia, Jean-Louis Gasset, Julien Sablé, Ghislain Printant, et ils ne le faisaient pas jouer. Il y avait un numéro un et un numéro deux. Jessy Moulin était toujours le numéro deux. L'arrivée de Claude Puel a redistribué les cartes.» Le destin du natif de Valence a alors changé. De l'éternel second, Jessy Moulin s'est mué en gardien titulaire de l'AS Saint-Étienne, plus de vingt ans après son arrivée au club, le visage poupon et juvénile en moins. Cette fois, le crâne est rasé, la barbe grisonnante et la musculature parfaitement dessinée. Le Stéphanois peut se plonger dans le grand bain de la Ligue 1.
Un départ canon avant les doutes
Sur le pré, ses premières performances en tant que numéro un sont scrutées avec attention. L'AS Saint-Étienne a préféré faire confiance à sa doublure plutôt qu'à un gardien extérieur. Et le départ en Championnat justifie ce choix. À l'image d'une jeune équipe stéphanoise étincelante, il n'encaisse aucun but lors des trois premières victoires de l'ASSE face à Lorient, Strasbourg et Marseille. Des prestations solides et saluées. Les Verts caracolent en tête du Championnat et attirent forcément les regards. Mais la parenthèse enchantée s'arrête vite, beaucoup trop vite. Entre le 26 septembre et le 11 décembre, l'ASSE enchaîne une série cataclysmique de onze rencontres sans victoire, dont sept défaites de rang. Le trou noir.
Dans les buts stéphanois, Jessy Moulin ne peut arrêter la spirale négative. Le portier encaisse alors vingt buts et accumule les doutes. Ses arrêts sont moins décisifs, ses sorties tremblotantes et son jeu au pied brinquebalant. «Sa première partie de saison est à l'image de l'équipe dans son ensemble. Il y a eu des matches moyens, d'autres meilleurs, mais il n'a jamais lâché et c'est positif, décrit Patrick Guillou. À partir du moment où l'équipe ne gagne pas, il est forcément pointé du doigt. Mais tout se passait bien en début de saison, il ne faut pas l'oublier.» Pour Adrien Blettery, le portier de 35 ans n'est pas le seul à blâmer : «Il a fait quelques relances hasardeuses, on le sentait moins serein. Il n'était pas au niveau, mais comme l'ensemble de l'équipe. Il ne faut pas tirer à boulets rouges sur lui. Il est moyen, à l'image de l'équipe. Ses prestations sont en dents de scie. Sur les derniers matches, c'est un peu mieux.»
Il faut dire qu'à Saint-Étienne, l'un des dossiers épineux s'est récemment réglé. Lié de près ou de loin à la situation nébuleuse de Stéphane Ruffier qui a officiellement quitté le club début janvier, Jessy Moulin s'est retrouvé pendant plusieurs mois dans une situation sans doute inconfortable, tout comme ses partenaires. Mais qu'importe, le gardien n'est pas du genre à se laisser déborder par les pensées parasites. «C'est un gros travailleur, il ne lâche pas et se remet constamment en question», souligne Guillou. «Il est conscient qu'il peut faire mieux sur le terrain» enchaîne Blettery. À 35 ans, il n'est jamais trop tard pour apprendre et progresser, surtout quand on a l'AS Saint-Étienne dans son cœur. «Il aime profondément le club et il le respectera jusqu'au bout», termine Patrick Guillou. La patience a parfois bien des vertus : celles de respecter un écusson, un club, une ville. Et Jessy Moulin l'a compris depuis plus de 20 ans.
Thomas Bernier
Thomas Bernier