pelissier (christophe) (V.Michel/L'Equipe)

Christophe Pélissier (Lorient) : «Ce n'est pas en tapant tout le temps les joueurs que ça va marcher»

Au plus mal avant son match en retard face à Dijon, Lorient est sur une série de cinq rencontres sans défaite toutes compétitions confondues (4 victoires et un nul) et notamment un succès retentissant contre le PSG. Ce changement de braquet a largement été insufflé par le coach, Christophe Pélissier, qui évoque pour FF comment il a vécu les moments difficiles et comment il a remis ses Merlus d'équerre.

«Lorient est sur une super dynamique depuis sa victoire à l’arraché contre Dijon. Pensez-vous que c’est le jour où tout a basculé ?
Oui. On avait parlé de ce but à la 96e minute à la fin de la rencontre (NDLR : Andreaw Gravillon a offert les trois points face à Dijon, 3-2). J’ai dit à mes joueurs que j’espérais que ce soit un acte fondateur. Et je crois que ça a donné beaucoup de confiance et de force au groupe. On sait que souvent, les joueurs expriment au mieux leurs qualités quand la tête et la confiance sont revenues. Sur ce match-là, à la mi-temps, on a pratiquement un pied en Ligue 2. On est menés. On savait que ça allait être dur pour rebondir derrière. On a pris nos responsabilités, on a joué, on a fait reculer cette équipe de Dijon, on a égalisé sur un très beau but collectif... Ça nous a donné beaucoup de force et on a pu enchaîner sur le PSG avec beaucoup moins de pression. La chance, il faut la provoquer et les joueurs l’ont fait.
 
Comment aborde-t-on ce genre de rencontre au couteau pour le maintien ?
C’est vraiment très compliqué. J’avais 14 joueurs touchés par le Covid. On a récupéré la plupart l’avant-veille ou la veille du match. Ça a été dur mais dès la semaine précédente, où je n’avais que huit pros et huit ou neuf jeunes à l'entraînement, j’ai insisté sur le fait que le FC Lorient est un groupe et j’ai dit aux joueurs qu’ils allaient devoir être performants. En aucun cas j’ai insisté sur les absents, qu’on avait ci, qu’on avait ça, qu’on allait mal préparer le match... Au contraire, j’ai dit qu’on avait une chance de se défendre. Et qu’on se devait de jouer ce match en prenant nos responsabilités. C’est le mot que j’ai le plus employé. Responsabilités.

A la mi-temps de ce match, à 1-2 pour Dijon, ça se passe comment dans le vestiaire ? C’était chaud ?
Il y avait de l’abattement. Plein de personnes m’ont dit : «Les murs ont dû trembler à la mi-temps». Ben non… Ça peut m’arriver parfois mais là je trouvais qu’on avait fait 40 minutes abouties et on prend deux buts. Les joueurs étaient abattus. Je n’ai jamais pensé que le fait de leur rentrer dedans aurait été significatif. Je les ai reboostés. Je leur ai dit : «Vous aviez 90 minutes pour prendre vos responsabilités, maintenant, vous n’en avez plus que 45…». J’ai insisté sur le fait qu’on pouvait aller chercher la victoire avec nos qualités, notre envie d’aller de l’avant, de montrer qu’on pouvait exister car j’en suis sûr qu’on peut exister. Même à ce moment-là, je crois en leurs qualités.

«Contre Dijon, à la mi-temps, on a pratiquement un pied en Ligue 2»

Comment inclut-on les remplaçants, les mecs qui n’ont pas beaucoup de temps de jeu ? C’est peut-être le plus compliqué de leur faire entendre tout ça non ?
Déjà, moi, je ne parle jamais de remplaçant. Je parle de ceux qui vont débuter et de ceux qui vont finir le match. C’est ma façon de voir les choses. On peut reprocher qu’il n’y a pas d’équipe type ou je ne sais pas quoi. Mais pour moi, une équipe, elle se dégage d’elle-même. Souvent avec les performances et ce qui m’importe, c’est que tout un groupe soit mobilisé. Et quelque part, le fait d’avoir travaillé comme ça avec ce groupe depuis le début de la saison me donne raison. On a durement été touchés avec le Covid, il a fallu faire appel à des joueurs, enchaîner les matches tous les trois jours, avec un rythme de Coupe d’Europe… Il faut que tout le monde soit impliqué et que tout le monde sente qu’il est important pour le groupe. Peut-être avec moins de temps de jeu pour certains. Mais le temps sur le terrain et dans la semaine à l’entraînement crée une émulation saine pour le groupe. Qu’il soit petit ou non. Il n’y a pas les titulaires d’un côté et les remplaçants de l’autre.
 
Vous qui aimez la psychologie et qui lisez pas mal de choses sur ce sujet, pensez-vous que l’on peut parler d’une notion de momentum pour Lorient en ce moment ?
Oui, on parle souvent de dynamique et de spirale. La spirale était infernale, difficile, avec beaucoup de vents contraires. Il a fallu faire face. Maintenant, les vents sont plus porteurs avec les bonnes performances et les résultats. Mais ça ne veut pas dire que tout est acquis. Loin de là. C’est dans ces moments qu’il faut faire attention aussi. De rester avec beaucoup d’humilité, de rigueur et d’attention. Mais encore plus que les spirales, je crois beaucoup en ces moments de matches : les temps forts, les temps faibles… Je trouve que l’on gère mieux les temps faibles qu’en début de saison et ça nous permet de gagner des rencontres. Je crois beaucoup en ces dynamiques à la fois à la hauteur d’un match et d’une saison.
 
Dans ces spirales négatives, on se sent parfois totalement impuissant en tant que coach ?
C’est très dur. Souvent, notre travail est récompensé ou pas par les résultats. Dans ces instants précis, on se pose énormément de questions. Ce n’est pas qu’on doute ou qu’il y ait un sentiment d’impuissance. Mais on cherche beaucoup de solutions pour inverser la tendance. Après, un entraîneur heureux est un entraîneur qui gagne. Un entraîneur qui perd... C’est compliqué. Il faut garder devant le groupe cette énergie positive et montrer qu’on y croit. Que le chemin qu’on a tracé, il est encore là. Avec le staff, ç'a été une force de maintenir une énergie positive malgré les aléas. Une façon de travailler, même s’il doit y avoir des fois des adaptations, des discussions avec le groupe, les cadres, pour savoir comment on pourrait améliorer... Mais je pense qu’il faut avoir une idée, la montrer aux joueurs et la maintenir : «Regardez, à l’heure actuelle ça ne marche pas, mais je reste persuadé que ça va fonctionner.» C’est ce que j’ai dit aux gars quand je rentrais de la trêve. Ce groupe-là a les qualités pour s’en sortir. Ca ne viendra pas tout seul. Mais si on y met la concentration et la rigueur nécessaires pour le sport de haut niveau, on aura la chance d’être récompensés. C’est ce qui se passe mais comme je l’ai dit, il faut faire attention aussi. Parce qu’on peut croire que ça y est. C’est que le début car on avait pris beaucoup de retard. Faire une série nous maintient en vie. Il va rester quinze matches pour nous. Quinze matches où il va falloir aller chercher des points.

«Prendre un virage à 360 degrés sur ses idées, ça peut nuire sur le moyen terme»

Est-ce qu’à force de taper dans le mur parfois, on se dit : «Au diable mes préceptes, je change mon fusil d’épaule» ?
Je ne suis pas celui qui va dire qu’il faut mourir avec ses idées. Quand il y a le mur en face, il faut arrêter de taper dessus. C’est pour ça que je parle plutôt d’adaptation. Par rapport à des problèmes tactiques, sur des positionnements, des hauteurs de bloc, des sorties de balle... Mais je pense que prendre un virage à 360 degrés sur ses idées, ça peut nuire. Ça peut être bon à court terme, mais ça peut nuire sur le moyen terme au rendement de l’équipe. Il faut montrer au groupe que l’on sait où l’on va. On fait des erreurs à l’heure actuelle mais aussi des bonnes choses. On se doit de montrer les choses positives aux joueurs dans des moments où c’est dur pour tout le monde. Ils ont envie de gagner les matches eux aussi. Quand on revient d’une défaite le lundi ou le mardi, il faut relancer la machine et ce n’est pas en tapant tout le temps les joueurs que ça va marcher. Comme je leur dis, on est tous dans le même bateau. Quand on gagne, c’est tous ensemble et quand on perd, on est tous fautifs, les joueurs, le coach, le staff... Pas de soucis. Même si je sais très bien, et je le dis souvent en rigolant aux joueurs, que les victoires appartiennent aux joueurs et la défaite, elle est pour le coach. On la connait l’histoire. Moi je veux bien endosser ça mais il faut être dans l’unité. Ce qui fait la force des équipes et notamment celles du bas de tableau comme la nôtre, c’est l’unité d’un vestiaire, d’un staff, d’un club.
 
En parlant d’unité, vous avez été maintenu à votre poste malgré cette spirale négative…
On me l’a montrée cette unité. Dans ces périodes-là, il y a des clubs du bas de tableau qui choisissent une autre option en changeant d’entraîneur et de staff. Le président Féry a choisi une autre solution. Il a peut-être choisi d’envoyer un message et le vestiaire s’est dit aussi : «Si cette unité elle est en haut du club, il faut qu’elle soit aussi au sein du vestiaire.» Il y a plein de situations, plein de choses qui font dire que le football de haut niveau est une somme de détails, mais il y a des trucs qui font qu’une équipe refonctionne. On parle de facteur chance, de réussite et il en faut, mais des fois on la provoque aussi avec la confiance à tous les étages.

Elle a radicalement changé l’ambiance dans le vestiaire depuis que ça va mieux ?
C’est paradoxal et c’est peut-être aussi la force de ce groupe-là, mais même lorsqu’on n’avait pas de résultats, il a toujours été dans une bonne dynamique de travail. Il est resté positif. Nous, on essaie de maintenir ça pour être performants. Je dis souvent que pour qu’un joueur soit bon sur le terrain, il faut qu’il soit bien dans sa tête. C’est ma manière de voir les choses. Quand en plus on a des résultats, c’est encore mieux. Mais je mets les warnings, attention, l’équilibre est fragile.

« Je pense qu'il faut avoir une idée, la montrer aux joueurs et la maintenir : ‘'Regardez, à l'heure actuelle ça ne marche pas, mais je reste persuadé que ça va fonctionner.''»

Je dis souvent que pour qu'un joueur soit bon sur le terrain, il faut qu'il soit bien dans sa tête. C'est ma manière de voir les choses.

«Les joueurs doivent sentir qu'ils sont tous importants. Quel que soit leur temps de jeu»

Vos changements lors des derniers succès ont très souvent changé la donne. Il y a une espèce d’état de grâce aussi quand ça va mieux et qu’on est entraîneur ?
Les dynamiques sont là et pour tout le monde. Quand on est pris dans ça, on fait ce que vous appelez des coachings gagnants mais dans notre tête, tous les coachings sont les bons à la base. Et puis en fait, ça ne se passe pas bien donc on ne les voit pas comme ça. J’ai surtout la chance d’avoir un groupe homogène où tout le monde se sent concerné et apporte à l’effectif et au groupe ses forces. Que ce soit l’un ou l’autre qui débute ou qui rentre, je sais qu’avec leurs différences, ils peuvent tous apporter.
 
Ça se crée comment une dynamique de groupe ?
Par de la communication, de l’explication, des discussions au quotidien, montrer comment on voit les choses et comment elles fonctionnent... Mais ça, c’est un travail de longue haleine. Les joueurs doivent sentir qu’ils sont tous importants. Quel que soit leur temps de jeu.

Vous vous êtes servis de la victoire du PSG pour appuyer vos briefings ?
Pour montrer les qualités que l’on a, oui. Même si on sait très bien que quand Lorient bat Paris, ce n’est pas Lorient qui gagne, c’est le PSG qui perd. Je me sers surtout de ce match pour leur dire que chaque match en Ligue 1 est un combat, un rapport de force et qu’il n’y en a pas un qui est plus difficile ou facile que l’autre. Sur le papier bien sûr que d’aller jouer à Monaco, ça parait plus difficile qu’un autre par exemple… Mais c’est totalement faux. Tous les matches de L1 sont difficiles.»

Johan Tabau

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