Écosse : Glasgow Rangers, la vague bleue est de retour
Couronnés d'un cinquante-cinquième titre de champion il y a une semaine, le premier depuis dix ans, les Rangers ont mis fin à l'hégémonie du Celtic, le rival honni après des années de galère. Un renouveau orchestré par Steven Gerrard.
À Glasgow, le ciel s'est enfin paré de ses habits bleus azur. Pour le plus grand bonheur des fans des Rangers bien contents de voir le Celtic être enfin descendu de son piédestal. Durant neuf ans, les Bhoys ont tout raflé sur la scène nationale. Pendant que les Gers, criblés de 75 millions de dettes en 2012, étaient placés en liquidation judiciaire et contraints de redescendre en quatrième division. Comme d'autres formations européennes avant eux, les Rangers ont dû se reconstruire et monter les marches une par une. Dans l'attente de retrouver l'élite et ses plus folles inimitiés, dont celle face au rival séculaire. Après être remonté en première division en 2016 et avoir vu le Celtic caracoler en tête ces quatre dernières saisons, l'autre club de Glasgow a frappé du poing sur la table et écrasé le championnat. C'est simple, les Rangers ont été sacrés, à quelques journées de la fin, avec vingt points d'avance sur son rival. Le tout, auréolé de la meilleure attaque (77 buts inscrits), de la meilleure défense (9 buts encaissés) et, surtout, en étant - pour le moment - invaincu. Le bilan parfait. «C'est la dix-huitième fois que je vois les Rangers remporter le titre de champion», souffle David Edgar, créateur du podcast Heart & Hand Podcast consacré à ces derniers, mais c'est sans doute le plus grand après ce que le club a vécu au cours de la dernière décennie.» Salim Kerkar, ex-joueur des Gers de 2010 à 2012 lui emboîte le pas : «Cela récompense les joueurs, le staff mais surtout les supporters et toutes les personnes qui sont restés travailler au sein du club depuis dix ans. Certains ont fait des sacrifices personnels et financiers. Ils peuvent être fiers d'eux. Ce titre a vraiment une saveur particulière.»
«Gerrard a toujours fait passer l'équipe avant le joueur. C'était le collectif qui primait et non l'individu»,
Le symbole de cette renaissance à un nom et cristallise tous les regards, Steven Gerrard. L'ancienne légende de Liverpool, arrivé en 2018, a redonné un nouveau souffle à une équipe qui en avait bien besoin. Tout cela avec des principes bien établis du côté de Murray Park, le centre d'entraînement des Rangers. Dès son arrivée, Stevie G a déterminé des programmes de remise en forme, donné des exercices individuels durant la pré-saison à chaque joueur, et lancé des conversations Zoom hebdomadaires. Avant d'aller plus loin en modifiant certains terrains et même l'organisation de la cantine. La révolution est en marche. D'autant que l'aura est toujours présente. À la moindre incartade d'un joueur, celui-ci est vivement repris de volée par un Gerrard agacé qu'on ne réponde pas à ses exigences. «Il a toujours fait passer l'équipe avant le joueur. C'était le collectif qui primait et non l'individu», raconte Dave King, l'ancien président des Rangers à The Athletic. Président à l'époque, King sait qu'il a entre ses mains un homme de poigne qui va permettre au club de retrouver son lustre d'antan.
L'effectif ressemble à son entraîneur
Si les premiers mois sont loin de répondre totalement aux exigences, la haine du match nul et de la défaite étant viscérale chez les Gers, Steven Gerrard pose les pierres de son projet. «Le board a eu l'intelligence de laisser du temps à Steven Gerrard pour modeler l'effectif à son image, confie Loïs Guzukian, co-créateur du compte Scottish France sur Twitter. Ce qui fait que chaque année, les Rangers ont progressé et se sont rapprochés de leur but, à savoir gagner un trophée.» Car en débarquant à Ibrox, Gerrard se retrouve au cœur d'un aéroport géant où les joueurs s'amoncèlent au moment de partir ou rejoindre Glasgow. À l'instar des coaches qui se succèdent (quatre en moins de quatre ans), les Rangers se cherchent. «Quand il arrive, il trouve une équipe en manque de confiance, décrypte David Edgar du podcast Heart & Hand. Il doit tout refaire avec pratiquement rien. Seulement une poignée de joueurs ne part pas après son arrivée. Mais c'est clair que ceux qui sont restés ont de suite progressé.»
«C'est relativement similaire à ce que produit Liverpool, mais Gerrard est très attaché à l'assise défensive. Il en parle en permanence.»
Sur le terrain, le club fait sa mue après avoir longtemps tâtonné. Le coach anglais apporte sa vision et ce qu'il a appris à Liverpool. Les Rangers passent d'une équipe un peu brouillonne à une équipe soucieuse de bien presser et se projeter rapidement vers l'avant quand le ballon est récupéré. À la manière de Jürgen Klopp, Steven Gerrard veut voir son équipe être agressive et des latéraux qui prennent en permanence les couloirs pour apporter du danger offensivement. Avec un dispositif tactique évidemment en 4-3-3. Le parallèle est facile à faire. «C'est relativement similaire à ce que produit Liverpool, mais Gerrard est très attaché à l'assise défensive. Il en parle en permanence. Il veut que son équipe n'encaisse aucun but et soit forte collectivement», souligne David Edgar. Pour cela, l'ex-Reds n'hésite pas à créer des groupes d'entraînement où défenseurs, milieux et attaquants ne travaillent pas ensemble. Chaque poste doit progresser seul, avec l'aide de ses adjoints et chevilles ouvrières : Tom Culshaw, Gary McAllister et Michael Beale. Le pari fonctionne et les joueurs sont réceptifs. La greffe prend. Steven Gerrard peut désormais travailler en toute quiétude.
L'alliage entre l'expérience et la jeunesse
Ce qui fait aussi la réussite de ce Rangers version 2020-21, c'est la constitution d'un groupe solide et mêlant l'expérience du haut niveau à la jeunesse talentueuse. Sur le pré, des vieux grognards comme Allan McGregor, Steven Davis - tous deux déjà présents lors du dernier titre du club en 2011 -, James Tavernier (meilleur buteur et passeur du club alors qu'il évolue latéral droit), Scott Arfield et Jermain Defoe viennent titiller la nouvelle génération composée de Nathan Patterson, Glen Kamara, Joe Aribo, Ryan Kent, Alfredo Morelos ou encore Ianis Hagi, fils de la légende roumaine Gheorghe Hagi. «La jeunesse aussi talentueuse qu'elle soit a besoin de mentors et de joueurs ayant connu de grandes choses, développe Loïs Guzukian du compte Scottish France. Le fait d'avoir récupéré des Davis, Defoe, Arfield et McGregor c'est un superbe coup parce qu'ils savent ce que c'est d'être dans de gros matches à enjeux, d'être performants régulièrement. Ils tirent l'ensemble du groupe vers le haut.» Salim Kerkar qui a évolué avec McGregor et Davis enquille : «Avoir des joueurs comme Allan ou Steven, c'est important. Ce sont des bosseurs qui ont toujours été discrets, mais ils t'apportent du talent et de la sérénité grâce à leur expérience. Ils ne paniquent jamais.»
Si cela ne suffit pas, Gerrard prend le relais pour venir au secours des cas individuels. Un joueur illustre à merveille le management du coach anglais : Alfredo Morelos. Vivement critiqué pour ses sautes d'humeur et ses performances désastreuses pendant de longues semaines, le Colombien de 24 ans a reçu la confiance de Gerrard contre vents et marées. Alors qu'en interne, nombreux voulaient le voir partir au mercato d'hiver, de simples discussions avec son coach ont suffi pour remettre en selle le joueur et trouvé les réponses à ses problèmes de comportement. Depuis, Morelos est inarrêtable et réalise des performances très intéressantes. Les statistiques parlent d'elles même : 7 buts, 7 passes décisives en 2021 toutes compétitions confondues.
Un recrutement ciblé et réussi
En conjuguant l'expérience des anciens et l'envie insolente de la jeunesse, Steven Gerrard a réussi le mélange parfait. Ce qu'il fallait sans doute à ces Rangers pour revenir au premier plan. Surtout, ses choix osés en matière de recrutement ces deux dernières saisons ont porté leurs fruits. À l'image de Glen Kamara. Le milieu finlandais de 25 ans, passé par l'académie d'Arsenal n'a jamais véritablement eu sa chance en Angleterre avec des passages infructueux à Southend United et Colchester. En décembre 2018, alors que les Gers affrontent Dundee FC où évolue Kamara, Gerrard repère le talent du Finlandais et décide de l'enrôler au mercato d'hiver. La somme versée ? 55 000 pounds... Depuis, le natif de Tampere est indispensable au milieu des Rangers avec 96 rencontres disputées. Au point de susciter les convoitises de plusieurs clubs européens. «C'est une pièce maîtresse à la récupération du ballon. Un travailleur de l'ombre qui sait parfois se projeter et amener du danger», ajoute Loïs Guzukian. Ajoutons à cela les bonnes pioches comme Joe Aribo «un joueur sous côté» selon le co-créateur de Scottish France, arrivé de Charlton en juillet 2019 (33 matches disputés cette saison, 7 buts), Kemar Roofe revenu l'été dernier outre-Manche après un passage contrasté à Anderlecht (26 matches, 12 buts) et Ianis Hagi acheté également à Genk lors du mercato estival (37 matches, 7 buts, 12 passes décisives). De quoi avoir de beaux espoirs pour le futur.
À court terme, le club de Glasgow a d'autres objectifs bien définis. À commencer par l'aventure européenne. Toujours en course, les Rangers affrontent à Ibrox le Slavia Prague ce jeudi soir. Auteur d'un bon match nul à l'aller en République Tchèque (1-1), malgré quelques carences défensives persistantes, la bande à Gerrard peut espérer une qualification pour les quarts de finale. Un an tout juste après son élimination d'un rien contre le Bayer Leverkusen en huitièmes de finale. Secrètement, les Gers rêvent d'atteindre la finale, eux qui n'ont plus atteint ce stade depuis 2008 et la défaite malheureuse contre le Zénith Saint-Pétersbourg d'Archavine en Coupe de l'UEFA (2-0). Dans les rangs écossais à l'époque, Allan McGregor et Steven Davis. «Avec un tirage au sort favorable qui sait, rigole David Edgar. Les Rangers n'ont peur de personne en tout cas.» Il faudra toutefois se montrer plus rassurant défensivement et ne pas perdre les pédales à l'extérieur. Un reproche que l'on incombe souvent aux équipes écossaises en Coupe d'Europe depuis de nombreuses années. Mais le club a les clés pour espérer atteindre a minima le dernier carré, avant d'avoir un été vraisemblablement tumultueux.
«Avec un tirage au sort favorable qui sait... Les Rangers n'ont peur de personne en tout cas.»
Club à part
Pas épargnés par les dettes, les Gers vont devoir aussi vendre et se séparer des éléments les plus «rentables» sur le marché. La faute à un foot écossais toujours en dessous financièrement de certains pays, tels que le Portugal, les Pays-Bas ou l'Ukraine. En comparaison avec les clubs de ces championnats moins côtés, les Rangers possèdent un budget rachitique et souvent équivalent à la deuxième ou troisième division anglaise. Néanmoins, si le club veut continuer sa progression et faire bonne figure en Ligue des champions, il ne faudra pas tout jeter. «Il y aura sûrement quelques petits ajustements, comme toujours. Certains auront envie d'ailleurs et il sera important pour Steven Gerrard et son staff de trouver les bonnes personnes pour combler les manquements», développe Loïs Guzukian. Pour aspirer à briller comme par le passé et définitivement retrouver son lustre d'antan. Salim Kerkar en est lui certain : «De par son histoire et l'engouement qu'il y a autour, les Rangers ont tout pour réussir. Même en quatrième division le stade était plein à craquer. C'est un club à part.»
Thomas Bernier
- Toute l'actualité de la Ligue Europa