En attendant la publication du nouveau protocole sanitaire, les footballeurs amateurs sont appelés par leur club à retrouver les terrains. (J. Prévost/Lâ?™Équipe)

La triste année 2020 du football amateur

A l'image de son pendant professionnel, le football amateur aura connu une année 2020 plus que morose. Entre la déception des multiples arrêts et l'espoir des reprises, ses acteurs reviennent sur douze mois qu'ils ne sont pas prêt d'oublier.

«J'étais en plein entraînement quand la nouvelle est tombée, se remémore Saïd, éducateur dans la région lyonnaise et alors en charge d'une équipe U13. C'est les parents des joueurs autour du terrain qui m'ont appris qu'on allait être confinés. Ils étaient tous devant l'allocution d'Emmanuel Macron sur leurs portables. On s'est regardé sans trop savoir quoi faire. La séance s'est terminée et tout le monde est rentré chez soi sans avoir réellement conscience de ce qui nous attendait.» Le 16 mars 2020, le Président de la République annonçait le confinement général de la population française. Une décision brutale qui allait mettre une gigantesque chape de plomb sur le football amateur. Saïd ne le savait pas encore, mais cette séance d'entrainement allait s'avérer être la dernière d'un exercice 2019-20 historique. «Les mois sont passés et je n'ai pas pu dire au revoir à tous mes jeunes. Il n'y a pas vraiment eu de point final à la saison et c'est un vrai regret. C'est une aventure humaine qu'on vit avec eux, j'avais l'espoir et l'envie de les revoir une dernière fois sur le terrain.»

«Ce petit rendez-vous où l'on se retrouve tous, où l'on discute de tout et de rien, où l'on rigole et se raconte des conneries, il n'y a plus rien et ça nous manque»

Cette situation, cette occasion manquée résume ainsi parfaitement l'année 2020 du football amateur. A l'instar de son pendant professionnel, le foot d'en bas a souffert. Peut-être plus encore. Car si les Neymar et autre Mbappé ont pu reprendre le chemin des terrains assez rapidement, le monde du ballon rond s'est complètement arrêté de tourner pour ces footballeurs du dimanche. «On était tous frustrés dans notre coin, explique Emmanuel Lion, président du FC Revigny, club évoluant en première division de district dans la Meuse. Notre fort, c'est la convivialité et tout a été coupé d'un seul coup. On voit le week-end arriver sans attrait. On sait qu'il n'y aura pas de sport, pas de rencontres autour des terrains et ça change la vie. Ce petit rendez-vous où l'on se retrouve tous, où l'on discute de tout et de rien, où l'on rigole et se raconte des conneries, il n'y a plus rien et ça nous manque.»

Des clubs face aux difficultés

La première phase d'isolement du football amateur aura duré trois mois. Du 16 mars au 22 juin, moment où le gouvernement a donné son feu vert pour le retour de la pratique des sports collectifs en France. Pendant quatre mois, tous ces passionnés ont donc avancé à l'aveugle, découvrant un quotidien bien morne sans leur guide que peut-être le ballon rond. Et si la parenthèse enchantée de l'été a été vécue comme une véritable bouffée d'air frais, la réalité a vite repris le dessus le 28 octobre quand Emmanuel Macron a une nouvelle fois interdit la pratique du football amateur. Une décision dure à encaisser pour des clubs pris en tenaille entre le contexte actuel et leur envie d'avancer. A Revigny, on voulait refaire le minibus et l'espace publicitaire qui figurait dessus. «Le projet était lancé, on avait aussi comme volonté de changer tous les panneaux autour du terrain. Des commerçants ont répondu à l'appel, les chèques sont signés. Mais je me refuse de les encaisser. Ces partenaires sont en difficultés et ne peuvent pas fonctionner normalement. Je ne vais pas les enfoncer encore plus» explique Emmanuel Lion, qui n'a également pas touché l'entièreté des subventions de la part de la commune.

«Désormais, on est rodés et je suis satisfait de la manière dont on a répondu face à la crise. Les clubs tiennent le coup pour le moment.»

Dépendant du sponsoring de ces commerces de proximité à l'agonie, les clubs ont reçu l'aide de la Fédération française de football. 10 euros par licencié, 7 en provenance directe de la FFF et 3 se partageant entre la Ligue et le District. «On est à l'écoute et à la disposition de nos clubs, explique Daniel Fay, président du District Meuse. Au début, on ne savait pas trop quoi répondre lors du premier confinement. On recevait des directives de la FFF mais c'était flou. Désormais, on est rodés et je suis satisfait de la manière dont on a répondu face à la crise. Les clubs tiennent le coup pour le moment.» Pour combien de temps ? On peut logiquement se poser la question. Au District Meuse, on a bouclé l'année avec 32 000 euros de pertes. En Provence, l'ardoise est encore plus importante avec un déficit de près de 125 000 euros en 2019-20, dont 100 000 euros directement liés à l'impact du Covid-19.

Deux suspensions des compétitions en un an pour le foot amateur. (Simon Stacpoole/Offside/Presse Sports)

Cette chute financière s'explique aussi bien par la baisse de l'activité du football amateur que par la perte de licenciés. Alors qu'ils étaient 1 915 000 la saison passée, il n'y en a plus que 1 791 498 en 2020-21, soit 123 815 personnes en moins. Autant de licences et de revenus perdus qui inquiètent les clubs et les dirigeants. En Bretagne, Luc Tréguer, élu au sein du district du Finistère, craint que cela entraine l'accélération d'un phénomène bien présent dans le football amateur depuis plusieurs années : les fusions. «Face au manque de licenciés, les clubs se mettent d'accord et fusionnent. Sauf que dans ce cas, un plus un n'est jamais égal à deux. Un seul club nait de cela et des licenciés se perdent toujours dans le processus.» Depuis début décembre, les clubs ont ouvert à nouveau leurs portes aux pratiquants. Mais avec des règles strictes. Des groupes de 6, aucun contact dans les exercices, les consignes sont nombreuses et limitent forcément les possibilités pour les coaches. «Il y a déjà une forme de lassitude, indique Luc Tréguer. C'est une vraie crainte que l'on a, surtout dans les petites catégories. Les vestiaires sont toujours fermés par les mesures sanitaires et pour un parent, voir son enfant frigorifié à la fin de l'entrainement ne donne pas envie de le ramener au club. C'est compréhensible ,et on a peur que cela entraine une baisse du nombre de licenciés.»

Coupe de France et occasions ratées

Egalement vice-président de l'Amicale Laïque de Coataudon, équipe de R3 dans le Finistère, Luc Tréguer a été dans l'obligation de mettre les deux salariés du club à mi-temps. Un choix difficile qui s'imposait au vu du contexte. Mais au-delà l'aspect financier, c'est le côté sportif qui inquiète également ce passionné. Pour la première fois de son histoire, son club s'est qualifié pour le sixième tour de la Coupe de France, un « véritable exploit « selon ses termes : «C'est juste un rêve pour nous, on n'avait jamais dépassé le 3e tour. C'est quelque chose qu'on a envie de partager dans un stade plein avec tout le club, mais on comprend la situation actuelle. L'engouement autour de notre parcours était énorme mais la suite est bien plus floue et triste.». Rencontrant une équipe de R1 à 300 kilomètres de là, il y a comme l'impression de passer à côté d'un moment formidable qui n'arrive que très rarement dans la vie d'un club pour le vice-président.

«C'est quelque chose (la montée) que l'on vise depuis un moment et que l'on frôle chaque saison. On était bien parti mais on s'en est également pris à nous-même et à nos résultats. On comprend la décision et on se dit que ce n'est que partie remise»

A l'Entente Centre Ornain (ECO), formation de Régional 3 au sein de la Ligue du Grand Est, on a fait face à une autre problématique comme de nombreuses équipes en France. La montée, tant espérée depuis près de trois ans, était toute proche en 2019-20. La formation était première ex-aequo au moment de l'arrêt du championnat. Mais à la défaveur du coefficient du fair-play, le club n'a pas pu atteindre son objectif. «C'est forcément rageant, regrette Laurent Garcia, vice président de l'ECO. C'est quelque chose que l'on vise depuis un moment et que l'on frôle chaque saison. On était bien parti mais on s'en est également pris à nous-même et à nos résultats. On comprend la décision et on se dit que ce n'est que partie remise.»

Le spleen des joueurs

Partie immergée de l'iceberg dont le versant professionnel n'est que la face visible, le football amateur a également vu ses joueurs faire face au manque de repères. Eux, qui vivent avec le ballon rond à leurs côtés au quotidien, doivent apprendre à faire sans et cela peut s'avérer délicat à gérer. «Psychologiquement, c'est difficile, avance Lucas Billard, licencié senior à la VGA Saint-Maur en banlieue parisienne. Le football, j'en fais depuis 20 ans, je m'entraine 4 fois par semaine, c'est quelque chose qui rythme ma vie. De ne pas toucher le ballon, je le vis mal. Et avec les confinements, je suis rentré dans une spirale négative où je me suis blessé. Mon équipe s'entraine sans moi depuis décembre et j'accumule le retard en vue de la reprise des championnats.» Plus que le ballon, c'est tout le monde qui l'entoure qui manque à ces footballeurs. Les potes, les rigolades avant l'entrainement, le partage dans le vestiaire, autant de moments de vie dont Robin Pical, joueur au GOAL FC dans la banlieue lyonnaise, a l'impression de passer à côté : «On peut toujours échanger par les réseaux sociaux mais ce n'est pas du tout pareil. Le contact humain n'est pas le même. Et quand on se retrouve sur le terrain, ça nous rend joyeux. Le matin quand on se lève, savoir que l'on a entrainement le soir, on est tout de suite heureux. Alors que là, c'est frustrant, on ne sait pas trop quoi faire de nos journées.»

«Moralement ce n'est pas tous les jours facile. On se demande souvent quand tout ça va redevenir à la normale.»

Ce besoin de toucher le ballon, il est d'autant plus important pour ceux dont le football est le métier. Semi-professionnel à l'US Granville en N2, Sofiane Hamard fait partie de ces premiers concernés par les décisions des instances du football. Alors que le championnat de National continue de se dérouler avec des joueurs ayant le même statut que lui, le milieu de 23 ans doit ronger son frein : «Il est clair que la frustration est importante car nous sommes mis au chômage partiel sans aucune visibilité sur les dates de reprise. De plus, nous devons être plus autonomes dans notre vie quotidienne car sans les entraînements et le suivi du staff il est difficile de garder la forme et la motivation.» Avant d'ajouter : «Moralement ce n'est pas tous les jours facile. On se demande souvent quand tout ça va redevenir à la normale. Il est vrai qu'entre les arrêts du championnat, les séances individuels, les préparations à répétition et le manque de compétition c'est très compliqué. Mais j'ai la chance de ne pas être seul et d'avoir ma famille à proximité ce qui m'aide beaucoup à supporter cette situation.»

Manque éducatif

«Le sport est dépassement de soi. Le sport est école de vie» comme le disait de manière iconique Aimé Jacquet. Au-delà de simplement taper dans le ballon, le football amateur a surtout une portée éducative qui se voit réduite durant la période actuelle. Dans ces jeunes catégories où les rêves et les ambitions sont aussi nombreux que les doutes et les questions, le ballon rond et son univers sont souvent des repères essentiels : «Ce qu'il se passe au sein du club pour le jeune, ça participe forcément à ce qu'il deviendra plus tard, analyse Moïse, entraineur à l'AS Meudon pour les U13 et les U17. Cette notion d'être ensemble et de voir autre chose chaque week-end est hyper importante. Monter dans une voiture différente pour aller aux matches, c'est primordiale. Et je dirais même que le sport contribue largement plus à l'éducation que l'école pour beaucoup.» Face à cette problématique, le coach a ainsi tenu à garder le contact avec ses gamins durant les confinements. « Je les appelais tous les 10 jours pour maintenir le lien et voir leurs visages. C'était important. Ne plus faire de sport, ça ne leur était jamais arrivé. Il fallait être présent pour eux ».
Pour Fayad, coach-adjoint chez les U16 de la Jeunesse d'Aubervilliers, l'objectif était similaire. Garder les jeunes concernés avec des objectifs aussi bien éducatifs que sportifs : «On a réussi à sauver les meubles. Le but, pour nous, est la montée en U17 Nationaux. On est bien parti et on voulait continuer sur la même dynamique. Avec des vidéos, des programmes qu'on leur envoyait par WhatsApp et des petits challenges, on a su maintenir une émulation dans le groupe.» Une originalité plus que nécessaire dans la mise en place d'un entrainement à distance inédit pour tous.

Espoirs

Chez les plus petits, la période a également été délicate à gérer. Si la compréhension de la situation a déjà été difficile à encaisser pour les grands, imaginez donc pour un enfant qui débute le football. C'était le cas de Calie, 8 ans, dont son père, Fabrice, a pu constater l'état d'esprit pendant le confinement : «Cela ne faisait même pas un an qu'elle avait commencé. Elle venait tout juste de découvrir ce qu'étaient les plateaux et les règles des matches. Le premier confinement est venu tout bouleverser. Pendant un moment, elle ne savait même plus si elle voulait vraiment continuer. Mais à la rentrée, elle a demandé la nouvelle paire de crampons et de revoir ses petits copines. C'était reparti.»

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Aujourd'hui, Calie a ainsi retrouvé ses amies du club de Saint-Victoret, près de Marseille. Dans des conditions adaptées à la crise actuelle certes, mais la nouvelle ravit Fabrice, dont l'envie est de voir sa fille arpenter les plateaux de la région comme il a pu le faire auparavant, et dont les souvenirs sont toujours gravés dans sa mémoire. Les discussions entre parents, les attentes interminables entre les rencontres, les amitiés qui se lient à travers les tournois, autant de choses qui manquent terriblement au football amateur en cette période délicate. Egalement sur le carreau tant qu'il n'y aura pas d'amélioration de la situation, les arbitres évoluent bien loin du rectangle vert actuellement. Sifflet dans la région parisienne, Nisso n'a qu'une hâte : revenir sur le terrain : «Pour l'amoureux du ballon rond que je suis, la situation est dure» déclare celui pour qui le manque à gagner se chiffre à près de 300 euros par mois. Même si le moment ne prête pas forcément à l'optimisme, c'est pourtant avec beaucoup d'espoirs que les acteurs du football amateur abordent la nouvelle année qui s'annonce. Avec l'envie de perdurer pour certains, de progresser pour d'autres, mais surtout de retrouver des amis et un ballon dont ils savoureront encore plus le contact quand tout cela sera derrière eux.

Benoît Desaint