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Le cécifoot, discipline invisible

Le slogan de la 16e édition de la Coupe de France de cécifoot ("certains jouent au foot, nous le réinventons"), qui s'est déroulée le mois dernier au Plessis-Trévise, en dit long sur la volonté des acteurs de cette discipline de partager leur passion. Neuf équipes de non-voyants qui représentent la quasi-totalité du cécifoot en France.

Quatre joueurs de champ, tous non-voyants, et un gardien valide par équipe se disputent deux périodes de vingt minutes entrecoupées d’une mi-temps de 10 mn. Le jeu est intense, le ballon sort rarement, et les coups au niveau des chevilles sont légions. Parmi les neuf équipes présentes, un joueur, Yvan Wouandji fait figure de star. A 22 ans, il a déjà fait le tour du web grâce à ses exploits balle au pied et écume les plateaux de télévision régulièrement. Son but inscrit avec l’équipe de France face à l’Allemagne, lors d’une rencontre amicale l’année dernière, permet de se rendre compte de la facilité avec laquelle Yvan joue au football.

Né au Cameroun avant d’arriver en France avec ses parents, Yvan perd brutalement la vue à l’âge de 10 ans et intègre alors l’Institut national des jeunes aveugles à Paris. Il y fait la rencontre de Julien Zelela, son professeur de musique. «Très souvent, on ne parle pas de musique en cours mais de sport et plus particulièrement de football. C’est comme ça que j’ai rencontré Yvan, qui m’a raconté son histoire. Il voulait vraiment faire du foot. Il faisait de l’athlétisme mais son choix s’est tourné vers le football avec la perspective d’obtenir la nationalité française grâce à l’aide du maire de Saint-Mandé que je connaissais» se remémore Julien.

C’est lui qui est à l’origine de la création du cécifoot en France. Directeur sportif de la discipline, il est également le président de l’AS cécifoot Saint-Mandé, le club actuel d’Yvan. «On a tout de suite vu qu’on avait une pépite avec Yvan» poursuit Julien. Il suffit de le voir balle au pied pour s’en rendre compte. Yvan est un joueur de l’équipe de France, avec laquelle il a remporté une médaille d’argent aux JO paralympiques de Londres en 2012. Pour cette performance, il a d’ailleurs été décoré de l’Ordre national du mérite : «C'est un truc de fou d’être médaillé d’argent aux JO, ça ouvre tellement de portes !» commente l’intéressé. Son aisance technique balle au pied, sa vitesse et son sens du but en font l’un des tout meilleurs joueurs en France. En plus de ses qualités techniques, Yvan est la tête d’affiche d’un sport qui cherche avant tout à se populariser. Un sport aux structures si fragiles et si solides à la fois.

Yvan Wouandji en action. (D.R)

Etudiant en deuxième année de licence en information et communication, Yvan permet de mettre en lumière sa discipline : «Les médias c’est mon monde. Je m’y sens à l’aise et j’aimerais devenir journaliste sportif. Et si en plus je peux parler de ma discipline...» Une discipline qui reste pour l’instant une histoire familiale.

Le cécifoot, une histoire de famille

Chaque équipe est complétée par un guide. Situé derrière les buts, il doit aider ses attaquants pour leur situer le but. A Saint-Mandé c’est Manu Morgado, le père de Fabrice, qui joue dans l’équipe, qui officie en tant que guide : «Un week-end, en allant le voir jouer, j’ai pris la place du guide qui n’était pas là. Ça m’a plu donc je suis resté». Son rôle est de parler à ses attaquants. Il leur donne la distance par rapport au but et des consignes, mais pas trop : «Le but n’est pas de dire beaucoup de choses mais des choses claires, précises, parce que sinon on perturbe le joueur qui doit écouter son guide, le ballon, ses adversaires
 
Il suffit d’observer la passion de cet homme sur les buts marqués par son fils pour se rendre compte que la compétition est bien présente. Capable de traverser le terrain pour sauter dans les bras du buteur. L’histoire est tellement belle que Manu a suivi son fils jusqu’en équipe de France pour laquelle il est devenu guide en 2013 : «On ne se quitte plus avec mon fils, le cécifoot nous fait vivre une histoire exceptionnelle» se réjouit Manu.

Manu Morgado, guide de Saint-Mandé. (D.R)

Une finale entre amis

Lucas Ignatowicz, le sélectionneur de l’équipe de France présent sur les deux jours de compétition, peut voir l’ensemble de ses joueurs : «La spécificité du cécifoot c’est qu’il y a une dizaine d’équipes, et sur les phases de Championnat et la Coupe de France ils sont tous présents, pour moi c’est une facilité pour observer tout le monde, les nouveaux qui tapent à la porte et mes cadres.» 
 
La finale débute et Saint-Mandé craque sous la pression : «c’est une jeune équipe, je sentais déjà ce matin qu’ils n’étaient pas dans leur assiette. Je leur ai dis de se lâcher.» Christopher a beau avoir prévenu ses hommes, le Sporting frappe deux fois et ruine les espoirs de titre de Saint-Mandé : «Ils ont mis de l’intensité et on n’a pas tenu en début de match, c’est vraiment dommage» souffle Yvan, déçu, à la fin du match.

Saint Mandé - Sporting Paris, finale de la Coupe de France. (D.R)

Le petit monde du cécifoot français devra patienter quelques semaines encore avant de pouvoir s’affronter sur d’autres terrains. Yvan partira en stage avec l’Equipe de France pour affronter l’Angleterre et préparer l’Euro 2017. En attendant, il va poursuivre ses études en journalisme et Christopher va continuer d’entraîner Saint-Mandé une fois par semaine, quand tout le monde peut venir. 

Un avenir en pointillés

«J’aimerais qu’il y ait plus de gens qui viennent nous voir, même s’investir. Gardien, tout le monde peut le faire puisque c’est un voyant ! Même arbitre, pas besoin d’un niveau incroyable en arbitrage ! Il faut qu’il y ait davantage de joueurs pour qu’on ait plus d’équipes» explique Yvan. Le cécifoot est un sport méconnu. Il est vrai qu’il semble inconcevable de se passionner pour un match de football disputé par des non-voyants. La pratique permet alors de se rendre compte du niveau d’exigence et de la difficulté rencontrés par ces sportifs. Car le cécifoot, c’est vraiment à voir.

Emmanuel Trumer