moulin (stephane) (B.Le Bars/L'Equipe)

Le grand entretien avec Stéphane Moulin (Angers) : «Je ne suis pas le papa que je devrais être parfois»

Au cours d'une ère où les entraîneurs restent de moins en moins longtemps en place, Stéphane Moulin va quitter son siège pour la première fois depuis dix ans. Au cours de près d'une heure et quart d'un riche entretien, le futur ex-coach du SCO se livre comme rarement pour esquisser un bilan de ces dix ans, mais aussi pour porter un regard profond sur sa profession.

On vous le promet : alors qu'il va quitter Angers, si Stéphane Moulin ne reste pas en Ligue 1 la saison prochaine, il manquera clairement à la Ligue des Talents. En début de semaine, FF.fr lui a envoyé une proposition d'interview pour revenir sur dix ans ininterrompus à la tête du SCO et sur l'évolution de son poste pendant toutes ces années. Toujours très agréable et très disponible avec les médias, Moulin a accepté une introspection en profondeur pendant 73 minutes. FF a eu envie de vous partager l'intégralité de cette conversation.

«Dimanche 23 mai. 38e et dernière journée face à Lille. 22h50 environ. Comment voyez-vous ce moment, cet ultime coup de sifflet final de l'arbitre pour votre dernier match avec le SCO ?
(Il sourit) Très sincèrement, je n'ai pas encore vraiment eu l'occasion d'y réfléchir. Peut-être que ça va se produire au fil du temps, mais, jusqu'ici, on était vraiment focalisés sur le fait d'atteindre notre objectif (NDLR : Le maintien). Je suis content de ça. Je ne me suis donc pas projeté. Je me connais, je sais qu'il y aura de l'émotion, évidemment, parce que je suis quelqu'un de relativement sensible. Je ne sais pas comment ça va se passer réellement... Ça risque aussi d'être mélangé peut-être à un titre de champion pour les Lillois.

Avec qui auriez-vous envie de vivre l'après-match ?
Ma femme, mes enfants, mes parents, ma sœur, tous mes amis dont font partie le staff. Je ne pourrai pas regrouper tout le monde. Mais, idéalement, cela aurait été ça.

Y a-t-il un pincement au cœur de vivre ça à huis clos ?
Franchement, ouais. C'est dommage. Je vais partager avec des gens que j'aime beaucoup. Mais on a eu une belle relation avec les supporters. Très souvent, en fin de saison, je disais un petit mot au stade lors du dernier match. J'aurais bien aimé leur dire quelques mots. C'est un petit regret. Ça aurait été un bon moment.

«Si c'est un bouquin, je trouve qu'il est sympa à lire»

Avez-vous envie de voir Lille être champion dès ce dimanche, après la 37e journée, histoire que le dimanche suivant soit votre soirée ?
Non, ce n'est pas ça (il sourit). J'ai vécu ce genre de situations avec Toulouse il y a six ans (NDLR : Quand Toulouse était venu chercher son maintien lors de la dernière journée à Angers, 3-2). On avait joué le jeu comme on a toujours joué le jeu sur les derniers matches. Ce qui est toujours ambigu, c'est de jouer un rôle d'arbitre. Mais on ne joue un rôle d'arbitre pour personne. Je n'ai pas de préférence. Mais si Lille doit venir gagner chez nous, notre objectif sera de leur rendre la tâche difficile et de gagner. Car notre métier, c'est avant tout de gagner des matches. Mais c'est toujours ennuyeux de se retrouver parfois mêler à des choses comme face à Toulouse. On nous avait reprochés d'avoir joué trop le jeu. J'avais félicité les Toulousains, car ils étaient venus chercher ce maintien et qu'on ne leur avait pas donné. Je vois le sport comme ça : quand on doit gagner, on ne doit pas attendre de l'adversaire qu'il nous laisse gagner. Donc, oui, pour ça, je préférerais que Lille soit champion avant comme ça on sera responsable de rien.

En 2011, quand vous devenez entraîneur d'Angers, vous dites : "Si le début du bouquin n'est pas bon, on n'a pas envie de lire la fin." Au bout du compte, ce bouquin, c'est un best-seller ?
Je crois ouais. Tout dépend de ce qu'on souhaite dans l'issue du best-seller mais si c'est un bouquin, je trouve qu'il est sympa à lire.

Avez-vous un mot pour résumer dix ans d'aventure avec le SCO ?
Bonheur. Ce n'est que du bonheur.

Cela a été un leitmotiv ?
Dans ces dix années, il y a évidemment eu des moments plus difficiles. Mais le mot qui me vient, c'est bonheur. J'ai connu tellement de belles choses... Pour moi, c'était inattendu. Je ne m'attendais pas à exercer à ce niveau-là. Il y a un bilan qui fait que, à mon niveau, il n'y a pas eu d'échec. On m'avait demandé de monter en cinq ans, on l'a fait en quatre avec le treizième budget de Ligue 2. On s'est maintenus six années avec le budget qui oscillait entre le dix-septième et le vingtième. On a fait une finale, une demi-finale et un quart de finale de Coupe de France, un quart de finale de Coupe de la Ligue. En dix ans, je considère qu'il y a toujours eu des belles choses. On n'a pas gagné de titre, je le sais. Mais quand on est un club comme Angers, c'est difficile de gagner un titre. Il y a des équipes bien supérieures à nous qui n'y arrivent pas. Pour nous, le SCO attaquera sa septième saison d'affilée en Ligue 1 l'année prochaine. Ce n'est pas un titre mais ce sont des performances parce qu'on perd nos meilleurs joueurs tous les ans, même depuis la Ligue 2. Et ce sera encore le cas cette année avec Angelo Fulgini. Il n'a pas fallu reconstruire, car on gardait toujours un noyau, mais ce n'était pas si simple que ça de redémarrer tous les ans avec une équipe qui perdait ses meilleurs joueurs.

Vous dites ne pas avoir imaginé entraîner à ce niveau : parfois, vous regardez votre parcours avec des yeux d'enfant, de fan de la première heure ?
Ouais, tout à fait. C'est aussi pour ça que j'ai gardé une certaine fraîcheur, un certain enthousiasme. Pour moi, les dix années que j'ai fait à la tête de l'équipe professionnelle, c'est un rêve éveillé. C'est ça que j'ai entretenu. Ça me paraissait tellement inaccessible, tellement loin, que j'ai gardé ça comme quelqu'un qui est un privilégié. Évidemment qu'il faut bosser, qu'il faut que ça marche, qu'il faut avoir de la réussite, mais, in fine, c'est quand même ça qui ressort. J'ai eu cette chance incroyable de pouvoir poursuivre un travail commencé très tôt. Avec une évolution et une progression du club et de l'équipe. Aujourd'hui, on a un jeu beaucoup plus attrayant, parce qu'il y a eu beaucoup de travail. Au-delà du fait que ce soit valorisant, c'est surtout le côté très agréable de pouvoir le faire.

Dans vos récentes prises de paroles, on a eu l'impression que vous avez eu très peur de descendre cette saison...
Non, ce n'est pas ça. On en a vécu des périodes comme celle-là, mais parfois à la trêve ou un peu plus au cœur des saisons. Pour la première fois, on a été sept matches sans victoire (NDLR : Entre le 13 mars et le 9 mai), cinq matches sans marquer... On était dans une spirale, en fin de saison, avec deux matches à jouer face à Marseille et à Lille qui n'étaient pas gagnés. On voyait revenir certaines équipes. On imaginait toujours le scénario le plus difficile pour pouvoir l'éviter. Ce n'est pas de la peur, mais de l'inquiétude. Et l'inquiétude de se dire : "Mais ce n'est pas possible. Avec ce qu'on a fait sur la première partie de saison..." Je sais que je quitte le club, et on ne peut pas le quitter sur un échec ! On n'en a jamais connu. Ça aurait mis une vraie tache d'encre sur la copie.

Cela aurait tout gâché ?
Ouais, un peu. Ça veut dire que sur dix ans, on aurait retenu que la fin...

«Pour moi, les dix années que j'ai fait à la tête de l'équipe professionnelle, c'est un rêve éveillé. C'est ça que j'ai entretenu. Ça me paraissait tellement inaccessible, tellement loin, que j'ai gardé ça comme quelqu'un qui est un privilégié.»

Stéphane Moulin, en 2011, quelques semaines après ses débuts comme numéro 1 avec le SCO. (P.Minier/L'Equipe)

«Jamais je n'ai imaginé ça quand j'ai commencé avec le SCO»

Souvent, dans le football, et même dans la société, on pense de plus en plus comme ça...
Je sais bien. Et ça, il était hors de question que ça arrive. J'ai aussi senti une vraie mobilisation des joueurs, que ça ne pouvait pas s'arrêter comme ça.

Revenons dix ans en arrière. Été 2011. Olivier Pickeu vous propose le poste d'entraîneur : vous souvenez-vous de ce moment ?
Je m'en souviens comme si c'était hier. Quand il me le propose, c'est une surprise. Je ne m'y attends pas du tout. Je n'ai pas le diplôme. Je n'avais pas envie de le passer et de retourner en formation (il sourit). Je me dis que le costume est trop grand. Je lui demande deux jours pour réfléchir et bien analyser la situation, pour savoir si je vais en être capable. Je ne vais pas dire que je me demande si j'en ai réellement envie parce que ça me tente. Mais je sais qu'il y a tellement de choses qui vont venir d'un seul coup, et que je ne connais pas mes compétences...

A ce moment-là, vous êtes qui ?
Je suis un entraîneur qui sort du milieu amateur, qui a fait huit ans à Châtellerault. En ayant quitté le club sur une accession en National, une belle réussite. Je suis parti pour revenir à Angers pour mes enfants. Derrière, je me retrouve cinq ans avec la réserve, avec les jeunes, et j'y prends beaucoup de plaisir. Donc, là, il faut que je bascule dans quelque chose d'inconnu, même si j'ai été joueur professionnel. Pour moi, coacher des pros est une grosse interrogation. Je suis dans l'idée de dire : "J'ai envie." J'échange avec mon épouse, car ça implique la famille. Elle me dit : "Si tu as envie, il faut essayer." Donc, allez, banco. À ce moment, j'ai confiance en moi mais, honnêtement, je ne sais pas comment ça va se passer. Je me dis : "J'y vais." Mais c'est peut-être pour six mois, un an, deux ans. Je n'imagine à aucun moment que c'est pour dix ans.

C'était une de nos questions...
Bah non, pas du tout, absolument pas ! Et j'imagine encore moins arrêter après six années en Ligue 1. Jamais je n'ai imaginé ça quand j'ai commencé avec le SCO. Et, surtout, dix ans dans le même club ! Donc quand j'accepte le poste, je sais où je vais, avec qui j'y vais, mais je connais quand même bien le milieu et qu'il est impitoyable. Je sais que ça peut-être une belle histoire, mais que ça peut s'arrêter très vite.

À quel moment prenez-vous conscience que vous êtes à votre place ?
La première année est très difficile : on est rétrogradés en National, puis réintégrés, mais avec interdiction de recruter. On fait un bon début, puis ça se dérègle à la trêve. A dix matches de la fin, on est à deux points du premier relégable et on fait une super fin de saison. La deuxième et la troisième sont de bonnes saisons. On monte sur la quatrième. Et je me dis : "Pourquoi je ne continuerais pas ?" Mais, lorsqu'on monte, ça devient un nouveau monde parce que j'ai joué en Ligue 2, mais jamais en Ligue 1. Et, de nouveau, les questions que j'ai pu me poser avant de démarrer en Ligue 2, je me les pose avant de démarrer en Ligue 1. Est-ce que je vais être en mesure de ? Est-ce que les méthodes utilisées vont pouvoir perdurer ?

Était-ce un manque de confiance en soi ?
Non. J'essaie d'être le plus lucide, sans se mettre les mains devant les yeux. Je connais très souvent l'ampleur de la tâche, je me prépare toujours au mieux... mais aussi au pire. Se préparer au pire c'est pour mieux l'affronter. Je sais que j'ai la force, le caractère et l'énergie pour surmonter les obstacles.

Y a-t-il un moment où vous avez failli prendre la porte ?
Au cours de la première saison, dans une période qui n'est pas bonne, on est à Amiens en milieu de semaine. On perd 3-1, avec deux expulsés. Au repas, à l'hôtel, je me lève et je dis aux joueurs que si c'est moi le problème, je me retire pour le bien du club. Martin Fall prend la parole et dit : "Coach, hors de question. On est derrière vous. Le problème, c'est nous, pas vous. Vous, vous continuez et on va s'en sortir tous ensemble." Derrière, Olivier Pickeu me dit : "Mais qu'est-ce que tu as dit ?" (il sourit). Je l'ai fait avec mon cœur. A ce moment-là, tout peut s'arrêter.

Si un joueur se lève et dit oui...
Et bah voilà ! Mais j'avais besoin de savoir. Je suis comme ça. Je suis capable de me mettre en danger si je sens que ça peut amener du bien à un moment donné. Sinon, il y a eu une période qui a été plus difficile au moment où on me prolonge alors qu'on est dix-septièmes. On perd 1-0 chez nous contre Saint-Etienne (NDLR : 17 février, sa prolongation est annoncée dix jours plus tard). Le président me demande si j'ai toujours envie. Si je lui dis non, c'est fini. Je lui dis, tout simplement, que j'ai encore la force et que je me doute qu'on va y arriver. Derrière, on fait une très bonne dernière partie de Championnat.

Vous n'avez pas envie de donner la recette pour rester autant de temps sur un banc ? Beaucoup ont perdu cette recette...
S'il y en avait une, je la dirais. Mais, non, je crois qu'il n'y a pas de recette. C'est un mélange de tout un tas de choses. Tous les coaches l'ont, mais je crois qu'il faut avoir un investissement. La différence, c'est que c'est ma vingt-neuvième saison au club. J'ai passé plus de la moitié de ma vie (NDLR : Il a 53 ans), pour l'instant, au SCO. C'est viscéral. Après, il faut que ça matche bien avec les dirigeants, les joueurs, les supporters. J'ai toujours dit que lorsqu'on est dans un club, dans une ville, il faut que les mentalités se rejoignent. Je m'identifie carrément à la ville d'Angers, dans cette douceur d'angevine, dans cette manière de vivre, dans cette humilité, dans cette simplicité. Pour la recette, il y en a une plus que les autres : les résultats (il sourit). Mais comment on les obtient, c'est ça la difficulté.

Des Stéphane Moulin, on en verra encore ?
Honnêtement, je pense que ça va être difficile. Des coaches ont largement mes compétences et plus, ce n'est pas le débat. Le débat, c'est : est-ce qu'un club va accepter l'idée de faire confiance à un coach comme moi quand j'ai démarré, néophyte, sans expérience, et lui laisser le temps de mettre en place un projet de jeu, un projet de fonctionnement ? Et que ça dure. Il faut beaucoup d'ingrédients pour que ça puisse fonctionner. Et dès qu'il en manque un, ça s'arrête.

Que vous inspire la valse des entraîneurs en Ligue 1 prévue cet été ?
Je ne sais pas, il y a des départs de tout ordre. Aujourd'hui, les coaches changent pour des raisons différentes. Si c'était pour la même raison pour tous... Là, on voit bien que la cohabitation entre les entraîneurs et les dirigeants devient de plus en plus difficile. On voit bien que les exigences sont de plus en plus élevées. A un moment donné, cette pression est difficile à gérer pour les coaches. C'est quelque chose de nouveau, évidemment. Là, pour cette année, c'est carrément exceptionnel. Est-ce qu'on pourrait rattacher ça avec le covid ? Je ne sais pas. Mais c'est vrai que ça paraît incroyable qu'il y ait autant de coaches qui vont quitter leur banc pour des raisons différentes.

Ce serait qui le remplaçant idéal de Stéphane Moulin ?
Je ne sais pas. Est-ce que c'est une continuité ou une rupture ? Je ne peux pas répondre à ça. Il n'y a pas un profil qui, au départ, doit réussir plus qu'un autre. Après, à Angers, il faut savoir mettre les mains dans le cambouis. Ça demande beaucoup d'énergie. On n'a pas de marge. Ça risque d'être la même chose l'année prochaine. Donc tout doit être aligné, tout le monde doit adhérer au projet pour se donner la chance d'avoir des résultats. Nous, dès qu'il y a quelque chose qui va un petit peu de travers dans la semaine, vous pouvez être sûr qu'on le paye le week-end. Il faut avoir la simplicité et l'humilité de savoir ce qu'on a.

Si on vous propose de nous citer vos cinq moments les plus forts pendant ces dix ans, que choisissez-vous ?
Il n'y a pas d'ordre mais le premier, qui me concerne plus moi, c'est le premier match en Ligue 2 face au Havre. On perd 2-1. On rate deux penalties. C'est Zacharie Boucher, qui va devenir notre deuxième gardien plus tard, qui fait ses débuts avec Le Havre. Il est remplaçant mais (Yohann) Thuram se blesse. Il n'a jamais joué en L2, et il nous arrête deux penalties en fin de match. Ça reste gravé à jamais.

«Je m'identifie carrément à la ville d'Angers, dans cette douceur d'angevine, dans cette manière de vivre, dans cette humilité, dans cette simplicité.»

«Le temps est un élément déterminant dans le football»

Le mot "patience" dans le foot, c'est galvaudé ?
Oui, beaucoup trop. Vous voyez bien : c'est super quand une recrue arrive, et deux mois et demi après, quand il n'a pas marqué, il est mauvais. C'est pareil pour les coaches. Je vois plein de coaches qui arrivent, notamment, parce que ça défile pas mal ces derniers temps, au PSG. Quand les coaches arrivent, ce sont des phénomènes, deux mois après, on ne voit pas leur patte et les résultats ne sont pas bons (il sourit). C'est la difficulté de notre métier, et je pense qu'on ne va pas vers quelque chose de différent. Je pense que ça va continuer et que le phénomène va même s'accentuer.

Encore plus vite, vraiment ?
Ah oui, oui. Et ce n'est pas bon. Je m'élève contre ça. Je trouve que c'est passer à côté de certains "talents", de certaines compétences parce qu'on ne laisse pas le temps. Et le temps est un élément déterminant dans le football. Il faut un temps pour tout. On parle de football mais pour un cuisinier, il faut lui laisser le temps de préparer son plat. Nous, c'est un peu la même chose : si on doit faire le plat au bout de la moitié du temps, le plat sera obligatoirement moins bon. Le problème, c'est que l'impatience est un mot fort dans notre société, et en particulier dans le football. On le voit avec les jeunes. Les jeunes signent à seize ans sans jouer un match en pros. Sans faire les rabat-joie, ni les vieux cons et je ne dis pas que c'était mieux avant, mais, avant, il fallait faire quinze matches en pros pour signer son contrat pro. Aujourd'hui, les gamins sortent des U17 et il faut les faire signer alors qu'ils n'ont rien prouvé, rien fait. Évidemment que, derrière, il y a des conséquences.

«A Angers, il faut savoir mettre les mains dans le cambouis.»

On parie que vous allez nous dire la victoire à Lille (2-1 début janvier 2021).
Voilà, c'est ça (il sourit).

Pourquoi ce match est-il autant marquant alors qu'on peut penser que c'est une simple journée de Championnat ?
Parce qu'on fait le match parfait. Tout a été bien fait du début à la fin. On démarre bien la rencontre. On mène 2-0 au bout de dix minutes. (Burak) Yilmaz marque juste avant la mi-temps. Tout le monde imagine qu'on va se faire exploser en deuxième période. Et en fait, ce n'est pas du tout ce qu'il se passe. On a réussi à maîtriser l'adversaire, mais pas seulement en défendant : en maîtrisant le ballon, en ayant une belle conservation, en plaçant quelques contres et en concédant très peu d'occasions. S'ils sont champions de France, on les aura battus une fois. Ce qui serait exceptionnel, c'est de les battre deux fois. Mais je crois que dans la forme dans laquelle ils sont actuellement...
 
Quelle est, au final, la plus grande fierté de vos dix ans ?
Franchement, c'est d'avoir contribué, car j'associe tout le staff et toutes les composantes du club, à ramener le SCO en Ligue 1. Je sais tellement l'importance qu'a le SCO d'Angers dans cette ville, et qu'ils attendaient tellement ça depuis longtemps que c'est une petite fierté.

Quel est votre deuxième souvenir ?
L'accession en Ligue 1, contre Nîmes où on gagne 3-0 en 2015. Jean-Bouin envahi, oui, mais c'est la ville entière. Je ne sais plus qui avait dit : "On a retourné la ville." C'est un peu ça. Un bonheur passionnel qui atteint son paroxysme. C'est un truc de fou. On ne s'imagine pas, nous, depuis le stade, ce qu'il peut se passer dans la ville. C'est invraisemblable. Troisième souvenir : la finale de la Coupe de France (NDLR : 0-1 face au PSG en 2017) parce que c'est un moment exceptionnel que je n'avais vu qu'à la télé ou en tant que spectateur. Avant le match, je ne suis pas allé à l'échauffement. Mais quand on sort du vestiaire pour s'aligner sur le terrain, je vois ce mur noir et blanc à ma gauche. Fabuleux ! Un moment invraisemblable. Nicolas Pépé touche le poteau à 0-0 et on marque contre notre camp à la 92e minute (NDLR : But d'Issa Cissokho).

«La victoire à Nantes, un vrai moment de bonheur»

Avez-vous longtemps regretté cette finale ou avez-vous davantage retenu le positif du parcours ?
Non, le positif. Dans cette finale, ce que j'ai aimé, c'est qu'on savait qu'on avait 10% de chance de gagner mais on les a joués à fond. C'était une victoire pour moi, pas en termes de trophées, mais on a gagné la sympathie. Ce jour-là, le SCO a gagné quelque chose dans son image. C'était important.

Vous aviez gagné la Coupe du cœur.
C'était un peu ça. Ça rapporte que dalle, on ne peut pas mettre ça dans la vitrine à trophées. Mais on savait que la marche était haute, et ce que j'ai adoré, c'est qu'on l'a très bien préparé et on l'a très bien joué. Ça n'a pas suffi. Ça reste un merveilleux souvenir. Mon quatrième ? Un match gagné à Nantes la saison dernière, juste avant la trêve. Le 21 décembre. Ça fait 52 ans qu'Angers n'a pas gagné à Nantes en Ligue 1. Notre parcage visiteur est plein. Il y a un sentiment de bonheur, mais de bonheur partagé. En gagnant à ce moment de la saison, je sais qu'on fait un magnifique cadeau aux supporters et à tous les Angevins qui ont été tellement laminés parfois par le FC Nantes. Le match est beau, on est menés 1-0 et on marque dans les dix dernières minutes. C'est un vrai moment de bonheur. Ça m'avait également marqué parce que 52 ans, c'était mon âge ! J'ai trouvé le clin d'œil magnifique. Dernier souvenir, c'est un match de cette saison.

Si vous deviez nous raconter la fois où vous avez dû annoncer quelque chose de très difficile à un de vos joueurs.
Sans aucun doute le dernier avec qui cela s'est passé : Ludovic Butelle.

Quand vous lui dites qu'il passe numéro 2.
Oui. Il faut que les choses soient dites, c'est important que les joueurs les entendent. Mais il faut le dire le plus simplement possible, toujours avec de la sincérité, de la bienveillance, mais aussi de la franchise. C'est primordial. Annoncer à un garçon qui est un pilier du vestiaire qu'on va partir sur une autre orientation, ce n'est pas simple. De l'affectif s'est créé avec lui, mais je lui dis que je dois rester le plus professionnel possible et qu'il me semble que pour le bien de l'équipe et son bien à lui, il faut qu'il passe numéro 2. Ce n'est pas simple de voir quelqu'un un peu groggy face à soi.

Dans quelle catégorie d'entraîneurs pensez-vous faire partie aujourd'hui ?
Je ne sais pas (il sourit). Ce n'est pas trop à moi de dire ça. Je dirais plus que je fais partie des bâtisseurs. On m'a laissé le temps de faire. C'était du CFA, mais je suis resté huit ans à Châtellerault, et donc dix ans ici. Ce n'est certainement pas un hasard mais aujourd'hui je suis prêt à découvrir quelque chose de nouveau. Le pompier de service, je pense que je peux le faire mais je ne suis pas certain d'appartenir à cette catégorie-là.

«Je sais tellement l'importance qu'a le SCO d'Angers dans cette ville, et qu'ils attendaient tellement ça depuis longtemps que c'est une petite fierté.»

«Les cinq grands Championnats européens, ce n'est quand même pas anodin»

Au rang des fiertés, avoir été le recordman de longévité sur un banc dans les cinq grands Championnats signifie-t-il quelque chose ?
Honnêtement, on m'en parle tout le temps. Je n'en parle jamais. Mais, aujourd'hui, je dis oui parce que, finalement, c'est super rare. Les cinq grands Championnats européens, ce n'est quand même pas anodin. Mais ce ne n'est pas ce qui me fait le plus triper.

Y a-t-il un joueur avec qui vous avez une relation qui va au-delà de l'entraîneur et de l'entraîné ?
Pas beaucoup. Un joueur comme Jeff Reine-Adélaïde, il s'est passé quelque chose. Je l'ai encore régulièrement, il passe nous voir... Ce n'est pas celui avec qui j'ai le plus d'affinités mais c'est celui qui, vu ce qu'il lui arrive (NDLR : Il a été gravement blessé au genou après une saison faites de hauts et de bas avec l'OL en 2019-20), me donne tellement de regrets de n'avoir pas réussi à le convaincre. Je ne voulais pas qu'il parte. Je lui avais dit : "Ton sac n'est pas bien rempli." Il est parti trop tôt (NDLR : Contre 25 millions d'euros à l'OL en 2019). Je sais qu'il le sait. Ça a créé quelque chose d'un peu plus fort entre nous. J'espère que tout ira bien pour lui et que ce choix-là n'aura pas été déterminant dans le mauvais sens.

Ces critiques vous ont-elles fait évoluer ?
Oui et non. J'ai appris à vivre avec. Je suis ouvert à tout ça, je suis capable de me remettre en question. Après, on a l'impression parfois qu'il faut être Lyon, Marseille, Monaco ou Paris pour avoir le droit de jouer. Nous, on nous demande parfois la même chose que ces clubs : mais non ! Il faut de tout pour faire un Championnat. Des équipes très fortes sur le plan technique, sur le plan tactique - dont on fait partie mais ça par contre on n'en parle pas beaucoup. À l'époque, on avait des joueurs comme (Cheikh) Ndoye, on faisait 1,90m donc on était des bouchers. Mais les deux dernières saisons, on a fini premiers au fair-play. Donc pour une équipe de bouchers, je trouve que... Il y a plein d'incohérences.

Vous avez dit récemment de ne pas banaliser un maintien en Ligue 1.
C'est assez drôle : quand on a commencé en 2015 en Ligue 1, la première équipe qu'on disait qu'elle allait descendre, c'était Angers. "De toute façon, Angers ne durera pas, patati, patata." Aujourd'hui, quand je vois les pronostics de début de saison, on n'est jamais dans ceux qui vont descendre. Malgré tout ce qu'il se dit, ça veut dire quand même qu'il y a une méthode, un savoir-faire. On perd nos meilleurs joueurs tout le temps ! Donc la perception est bien différente qu'il y a six ans.

Ça vous fait rire jaune...
Non, non. Je peux comprendre qu'on ait des idées différentes des miennes. Je l'accepte. Mais on ne peut pas dire tout et son contraire, il faut être cohérent, comme une équipe. On ne peut pas dire qu'on ne joue pas et ne jamais nous mettre dans les équipes qui vont descendre. Non : les équipes qui ne jouent pas, elles descendent. On ne peut pas toujours gagner sans jouer. À un moment donné, ça s'arrête ! C'est intéressant de parler de la philosophie de jeu et je trouve qu'on progresse d'année en année. Mais je trouve qu'on a toujours cette étiquette de 2015.

L'exemple de Reine-Adélaïde s'inscrit aussi autour de tous ces joueurs qui ont nettement progressé, qui se sont relancés sous vos ordres et avec qui vous avez été patient. Yann Kermorgant, Abdoul Razzagui Camara, Sofiane Boufal...
Il y en a eu un paquet...

Ils comptent dans vos dix ans...
Bien sûr. Je ne fais pas ce travail tout seul. Ceux qu'on a relancés, ceux en qui certains ne croyaient pas et ceux qu'on a découvert aussi. Je pense à un Flavien Tait qu'on prend à Châteauroux en National. Il avait montré des petites choses en Ligue 2 et on voit le niveau qu'il a atteint aujourd'hui. Je pense à Nicolas Pépé. Je pense à Jonathan Bamba qu'on a récupéré alors que Saint-Étienne n'en voulait pas, à l'époque, et qui était à Saint-Trond. Ça se passait mal là-bas, il vient chez nous et fait une saison incroyable. D'un seul coup, tout le monde le veut. Il y en a d'autres : Karl Toko Ekambi qui arrive de Sochaux, ce n'est pas la queue pour le faire venir. Jeff Reine-Adélaïde ne jouait jamais à Arsenal... Mon métier n'est pas fini mais c'est une des choses que j'ai aimées : contribuer au développement et à la progression d'un joueur pour l'amener le plus haut possible.

Y a-t-il un joueur qui vous a énormément surpris dans sa progression ?
Là aussi, il y en a beaucoup. Je pense à un garçon comme Romain Thomas qu'on va chercher à Carquerou en National. Aujourd'hui, c'est un joueur de Ligue 1, mais de "Ligue 1 +". Il a réussi à s'élever du niveau National pour devenir un joueur confirmé de Ligue 1. Un joueur comme Vincent Manceau aussi, qui est du cru, du club, qui joue milieu de terrain défensif. Je change son poste parce que je pense que ce sera plus facile pour lui en Ligue 1 en tant que latéral droit. Il se met au niveau, et il est un métronome. Ce n'est même pas de la fierté, c'est juste du plaisir, c'est agréable de contribuer à ça.

Avez-vous un passe-temps de lendemain de défaite ?
Non. Je n'ai rien trouvé qui me guérit (il sourit). Même si se ressourcer en famille est primordial. Mais, à ce moment, c'est eux qui prennent cher (il rit).

Comment êtes-vous passé de 48 à 24 heures pour digérer ?
Je ne sais pas si je dois mettre ça sur le compte de l'expérience, de l'habitude - parce qu'on perd beaucoup quand même (il sourit). C'est quelque chose que j'ai constaté, mes proches aussi. Il y a un travail sur soi que je fais, parce que je sais qu'il ne faut pas que je me rende malade car ça reste un match de foot. Mais j'ai parfois du mal à prendre la mesure de ça, même si c'est mieux.

En dix ans, avez-vous senti que la pression autour du rôle et du statut d'entraîneur s'est accentuée ?
Non. La pression, je la vis bien. Dans ma vie, j'ai vécu des choses bien plus graves. À partir de là... Je sais quand un match est important, évidemment qu'il y a tout ça. Mais je ne ressens pas une pression incroyable. Je l'ai toujours dit aux joueurs : on a peur quand on va mourir ou qu'on est gravement malade, on n'a pas peur de perdre un match de foot. Je n'ai pas changé là-dessus.

Le parcours et la progression de Vincent Manceau, une des fiertés de Stéphane Moulin. (J.Prevost/L'Equipe)

«Butelle ? Ce n'est pas simple de voir quelqu'un un peu groggy face à soi.»

Comment résumez-vous l'évolution de votre métier sur dix ans ?
Le métier n'a pas énormément évolué même s'il y a de plus en plus de place à l'extra-terrain et de moins en moins au terrain. Et ça, ça me manque. Le cœur de mon métier, c'est le terrain, les entraînements, les matches. Cela a diminué par rapport au reste.

On a souvent entendu des entraîneurs expliquer qu'ils sont davantage des managers.
Oui. On est responsables de tellement de secteurs que c'est de la gestion humaine quasiment tout le temps, c'est de l'anticipation. Et, de l'autre, je ne vais pas dire très peu de terrain mais beaucoup moins. C'est le temps qu'on passe sur le terrain qui est moins important. Il y a de plus en plus de place pour les médias. Donc c'est en ce sens que le métier a évolué. Mais sur le terrain en lui-même, je ne trouve pas réellement.

Le Stéphane Moulin de 2011 et le Stéphane Moulin de 2021...
(Il coupe) Dix ans de plus (il éclate de rire).

Est-ce le même ?
Le coach, je ne pense pas tout à fait. J'ai changé dans l'approche, dans la maîtrise des matches, dans la connaissance. Sur les comportements, les méthodes, au début, on est un peu tout feu, tout flamme, plein de jus. Ce n'est pas que je n'en ai plus, loin de là, mais il y a un peu de sagesse qui est entrée en moi. Par contre, l'homme, oui. L'homme n'a pas changé, c'est certain à 200%. Avant que je commence ce métier, on m'avait dit : "Tu verras, tu changeras, dans ce métier, c'est obligé. Les médias, la télé..." Je n'ai jamais changé. Et j'en suis fier parce que je ne me suis pas laissé bercer, je suis resté le même. Je n'ai jamais de certitudes, mais des convictions.

«Aujourd'hui, je considère que je traîne encore cette étiquette»

Au cœur de votre mandat, vous avez encaissé beaucoup de critiques sur votre style de jeu, vos ambitions... Est-ce que vous les avez toujours facilement accepté ?
Non ! Surtout au début. Je trouvais ça injuste. On monte en Ligue 1, on dépense zéro euro pour notre recrutement. On prend des joueurs de Ligue 2 libres. On est troisièmes à la trêve (il sourit). Et quand on parle d'Angers, c'est simplement pour dire que ça joue pas bien, c'est défensif... C'est injuste parce que quand je prends Lorient cette saison, ils ont dépensé 23 millions d'euros. Les raccourcis n'ont pas été justes. Pour monter en Ligue 1, il faut gagner des matches, et pour gagner des matches, il faut jouer au foot, créer, marquer des buts. Et sur ma séquence en Ligue 2, on n'a jamais dit ça de moi.

C'est là aussi que vous découvrez le monde de la Ligue 1.
Exactement. Et là je me dis : "Ok, d'accord. Ça veut dire qu'on est vite catalogués." Aujourd'hui, je considère que je traîne encore cette étiquette alors que, évidemment, tous les gens objectifs reconnaissent que le jeu d'Angers a beaucoup évolué et qu'on joue au ballon, on joue au foot. Je m'aperçois que dans le foot et encore plus en Ligue 1, on met très vite une étiquette à quelqu'un, qu'elle soit bonne ou mauvaise, et qu'il est très difficile de la modifier malgré les changements. Il n'y a pas longtemps, on jouait face à un adversaire, je ne dirais pas qui, et il disait qu'on était très bons sur coups de pied arrêtés... Oui, mais ça, c'était il y a cinq ans ! (Il rit) On n'a pas marqué sur coup de pied arrêté depuis la trêve. Ces espèces de clichés qu'on vous met sur le dos qui sont difficiles de s'en défaire. A une époque, je ne l'ai pas très bien accepté parce que je trouvais qu'il était injuste de parler de nous comme ça. Il fallait presque s'excuser de marquer des buts sur coup de pied arrêté. Ça a été une période un peu désagréable parce que c'était systématique.

Le SCO de Stéphane Moulin et Cheikh Ndoye, une équipe qui a longtemps eu une étiquette. (S.Mantey/L'EQUIPEL'EQUIPE)

«Les équipes qui ne jouent pas, elles descendent. On ne peut pas toujours gagner sans jouer. À un moment donné, ça s'arrête !»

«La défaite ? La haine totale»

Aujourd'hui, quel est votre rapport à la défaite ?
La haine totale.

Est-ce que cela a évolué en dix ans ?
Ouais. C'est une bonne question. Avant, il me fallait 48 heures. Je ne digérais pas. J'avais besoin de ce temps pour analyser. Quand on perd et qu'on est coach, on prend tout sur soi. C'est notre faute pour tout, on est responsable de tout. Je fonctionne comme ça, je pense que c'est pareil pour mes collègues. Aujourd'hui, je dirais que 24 heures me suffisent. Mais je ne suis pas agréable pendant, je ne suis pas le papa que je devrais être parfois, je ne suis pas le mari qui... Je n'ai pas évacué, pas digéré, je vis ça mal.

Que faites-vous ?
Rien. J'ai parfois tendance à me renfermer. Je suis ailleurs, je suis déjà sur le prochain match. Le jour de repos, je suis là mais je ne suis pas là. Ça se sent et ça se ressent. Ce n'est pas agréable pour ceux qui vivent avec moi, même mes amis peuvent le ressentir. Si je suis invité le lendemain d'une défaite, je ne passe pas le moment que je devrais passer.

«On a peur quand on va mourir ou qu'on est gravement malade, on n'a pas peur de perdre un match de foot.»

Au sujet des mots forts de Christophe Galtier sur des pleurs en rentrant chez lui, Stéphane Moulin dit : «Là, c'est aller très, très loin et se mettre un peu en danger. J'ai aussi un enfant en bas âge, c'est important. Je n'ai pas envie que mon fils voit l'image de son papa en détresse. Ce n'est pas bon.» (S.Mantey/L'Equipe)

«Je n'ai pas envie que mon fils voit l'image de son papa en détresse»

Vous ne vous êtes jamais senti oppressé par votre environnement professionnel.
Non. Parfois, ce qui est difficile, c'est qu'on a une responsabilité tellement importante qu'on a l'impression d'avoir une chape de plomb. Quand un club descend en Ligue 2, cela peut être des emplois supprimés, plein de choses en corrélation avec nous. On a l'impression d'être responsable de tout. C'est difficile. C'est ça qui me travaille plus que le résultat en lui-même.

Au sujet de sa première saison, quand il luttait pour faire maintenir le LOSC, Christophe Galtier avait dit dans La Voix du Nord : "Lorsque je rentrais chez moi, je m'effondrais par terre en pleurs et je disais à mon épouse que je n'allais pas y arriver." Avez-vous pu en arriver là ?
Non, jamais.

Est-ce que vous comprenez que ça puisse arriver chez certains entraîneurs ?
Je suis surpris que cela lui soit arrivé à lui, parce que ce n'est pas du tout ce qu'il renvoie. Comme quoi on peut avoir une image à un endroit avec certaines personnes, et une autre dans son intimité. Mais, non, cela ne m'est jamais arrivé. Même si je prends beaucoup les choses à cœur et beaucoup sur moi, je pense que cela ne m'arrivera pas. Même s'il ne faut pas dire jamais. Là, c'est aller très, très loin et se mettre un peu en danger. J'ai aussi un enfant en bas âge, c'est important. Je n'ai pas envie que mon fils voit l'image de son papa en détresse. Ce n'est pas bon.

«Avant que je commence ce métier, on m'avait dit : "Tu verras, tu changeras, dans ce métier, c'est obligé. Les médias, la télé..." Je n'ai jamais changé. Et j'en suis fier.»

«On a l'impression que l'image prend le pas sur la valeur humaine»

Est-ce que ce foot pro correspond à Stéphane Moulin ?
Le football, oui. Le terrain, oui. La partie technique, oui, parce que je trouve que le football a tellement évolué, c'est plus vite, c'est plus fort. Même si on pourrait parfois imaginer que l'aspect technique a un peu stagné sans être en déclin. Ça m'ennuie un petit peu. Pour le reste, je trouve que l'environnement du football a beaucoup évolué, et pas toujours en bien. Ce n'est pas une critique, mais les agents entrent beaucoup dans la vie des joueurs et parfois dans la vie des clubs. Ce n'est pas tout le monde ! Ce n'est pas un problème de statut, ce n'est pas l'agent, mais je trouve que ça dérègle un petit peu trop les joueurs. Ça pose de plus en plus des problèmes. Les médias aussi... Ils ont été multipliés par X et d'un petit problème, on en fait un drame. C'est déroutant parfois pour les joueurs, les entraîneurs. Ça peut dérégler beaucoup de choses externes au jeu dont je ne suis pas trop fan.

En 2017, dans France Football, vous avez dit : "Pour moi, on n'est pas un homme meilleur quand on entraîne en Ligue 1 que lorsqu'on le fait le dimanche en étant maçon le reste de la semaine." Vous avez parfois senti être en décalage avec ce monde ?
Oui, oui (il sourit). L'idée de cette phrase était que ce n'est pas parce qu'on passe à la télé et qu'on est reconnu comme un homme public qu'on est un meilleur homme que lorsqu'on est boulanger ou je ne sais quoi. On a l'impression que l'image prend le pas sur la valeur humaine. Moi, je ne suis pas comme ça. Parfois, je me suis senti un peu en décalage. Le côté bling-bling, le côté paillette - pas Dimitri hein (il sourit)... ça ne me correspond pas. Je le pense sincèrement. Parfois, ça peut faire vriller, ça peut faire embarquer dans des mauvais délires alors qu'il n'y a rien de plus.

«Je ne veux pas me rendre malade parce que je n'ai pas de club»

Entraînerez-vous jusqu'à 75 ou 80 ans ?
(Du tac au tac) Non ! 60 ans sera une bonne limite parce que c'est un métier extrêmement passionnant mais extrêmement usant, chronophage. Je suis très heureux de faire ce métier, mais la vie, ce n'est pas que ça.

Savez-vous ce que vous ferez dans le futur ?
Honnêtement, je ne sais pas. Je ne fais pas une demande d'emploi, mais aujourd'hui, je suis ouvert à toutes propositions. Ma priorité reste le football, mais je suis ouvert à tout un tas de choses.

Stéphane Moulin sans football, c'est possible ?
C'est arrivé une année depuis que je vis. Quand je suis revenu à Angers. J'étais manutentionnaire dans un entrepôt, j'étais quasiment tout seul du matin au soir à faire du bricolage, là où je suis nul : montage de systèmes électriques, lasurer des lampes... Ma femme m'a dit : "Il serait bien que tu reprennes le foot." C'est ma passion, une grande part de ma vie, mais ce n'est pas toute ma vie. Je préférerais avoir le football dans ma vie.

Du coup, la possible perspective d'être sans foot la saison prochaine, votre femme, elle en pense quoi ?
Elle dit : "Tu n'as pas été là depuis un bon moment donc peut-être que ça pourrait bien se passer." (Il éclate de rire) Je ne veux pas me rendre malade parce que je n'ai pas de club. Pendant un certain temps, je peux profiter de ce que je ne fais jamais. J'adore le ski... Je peux profiter de ma famille, de tout ce que je n'ai pas fait. Mais évidemment que cela me fera drôle si je n'ai pas de projet à la reprise. C'est une possibilité que j'ai intégrée. Je m'y prépare en espérant que cela n'arrivera pas.»

Timothé Crépin