mbuku (nathanael) (P.Lahalle/L'Equipe)

Nathanaël Mbuku (Stade de Reims) et l'apprentissage du haut niveau : «Je ne peux plus manger la recette de maman»

Il est désormais un titulaire quasi indispensable pour David Guion et le Stade de Reims alors qu'il n'a pas encore 19 ans. Le très sympathique Nathanaël Mbuku raconte son apprentissage du monde professionnel, qu'il soit agréable ou douloureux. En toute sincérité.

«Nathanaël, si on vous dit le 25 octobre, ça vous dit quelque chose ?
(Du tac au tac) Premier but !
 
Ce premier but chez les professionnels à Montpellier est déjà bien ancré dans la tête...
Directement ! C'est une date qui ne s'oublie pas.
 
Kaj Sierhuis touche le ballon qui monte en l'air dans la surface. Que se passe-t-il à ce moment ?
Je me dis : "La balle est en l'air, pourquoi ne pas la tenter ?" On ne sait jamais. Comme on dit, qui ne tente rien n'a rien. Et comme le coach le dit aussi : "La chance, on la provoque." Il n'est pas écrit le but, je suis allé le chercher. Ça m'a souri. Quand la balle rentre (il sourit.), je suis tout content, tout heureux. Je me dis que c'est le début d'une longue série, enfin j'espère. Pour un premier but, ça marque. Ce n'est pas tous les jours qu'on met des ciseaux comme celui-là. Dans la vie de tous les jours, je suis quelqu'un de très agité, je saute partout, je suis très agile...

C'est un but à votre image, en fait.
On peut dire ça comme ça (Il sourit).

On se demandait : quand est-ce que vous allez marquer un but normal en Ligue 1 (NDLR : en référence à son ciseau pas commun à Montpellier et son but du nez où il dévie sans le faire exprès une frappe lourde de Xavier Chavalerin pour le but de la victoire face à Brest le 24 janvier dernier. Ce sont pour l'instant ses deux seuls buts chez les pros) ?
(Il explose de rire) Quand la chance va me sourire, parce que j'en ai eu des occasions ! Je ne comprends pas, on dirait que ce ne sont que des buts "bizarres" qui rentrent, des buts dont je ne m'attends pas, des buts du nez (Il rit). Je travaille devant le but tous les jours pour progresser.

Comment vos coéquipiers ont-ils réagi après ce but improbable face à Brest ?
Le ballon vient vite, et je ne la vois pas venir. En fait, j'essaie de l'esquiver. Mais heureusement que je la prends dans la gueule, on va dire (Il sourit). Je me suis fait beaucoup charrier. Ils ne m'ont parlé que de mon nez ! Déjà, dans la vie de tous les jours, j'ai un gros nez. Donc ils m'ont dit qu'il allait encore plus grossir. Ils m'ont demandé si je n'avais pas de bosse... Je me suis fait chambrer toute la semaine.
 
Entre 2020 et 2021, votre nez, vous ne l'avez pas vraiment ménagé... Il y a ce but face à Brest, mais aussi des tests Covid qui ont souvent été une torture pour vous...
(Il éclate de rire) Il a pris cher ! Avant j'avais peur du test Covid. Maintenant, je m'y suis fait et ça passe tranquillement.
 
Lire :
-Découverte du souriant Nathanaël Mbuku (Reims) : «J'ai tout donné à l'école pour que mon père m'inscrive au foot»

«Face à Brest, le ballon vient vite, et je ne la vois pas venir. En fait, j'essaie de l'esquiver. Mais heureusement que je la prends dans la gueule, on va dire.»

Pour être un peu plus sérieux, vous êtes quasiment titulaire à chaque match depuis la fin septembre. Tout simplement : comment vous sentez-vous chez les grands ?
Je suis satisfait par le fait que je progresse de jour en jour, de match en match. J'acquiers de l'expérience. Même si j'aurais bien aimé avoir plus de statistiques, je suis content et satisfait dans l'ensemble. Et, franchement, je me sens bien. On a un groupe qui vit. Comme on dit, on est comme une famille. Ils m'ont directement mis dedans. A l'entraînement, je montre que je peux avoir ma place. Le coach me fait confiance. Maintenant, il faut continuer à bosser. Le football, c'est un marathon, et nous, on sprinte.

Vous parlez de statistiques : est-ce une pression ?
Non, pas du tout. Tu penses d'abord à faire un bon match pour aider l'équipe et à mettre tes qualités au service du collectif. Les stats, si ça vient, tant mieux. Même si, oui, ça reste important.

Elles prennent beaucoup de place, ces statistiques.
Oui, quand même. Surtout pour un joueur offensif. C'est très important pour la confiance individuelle. Mais il ne faut pas se fixer que sur ça, sinon, on tombe. On ne va vouloir que jouer pour soi. Il faut d'abord penser à l'équipe. C'est collectivement que tu marqueras des buts.

«Quand tu provoques ton défenseur, que tu ne le lâches pas, que tu recommences même quand tu rates. Tu ne lâches pas le steak. Provoquer, dribbler, quand tu es un joueur offensif, c'est quelque chose de très excitant.»

Vous avez dépassé la barre des 30 matches en Ligue 1 : est-ce que quelque chose vous a impressionné plus qu'autre chose dans ce monde professionnel ?
La régularité et la vitesse de jeu. Ça va mille fois plus vite par rapport à chez les jeunes ou en réserve. Il faut voir avant. Ce qui est bien pour nous, les joueurs offensifs, c'est qu'il y a énormément d'espaces. On peut plus s'exprimer, toucher le ballon. Donc oui, la vitesse de jeu. C'est-à-dire que c'est une erreur, un but. Tu n'as pas le droit à l'erreur. Tu dois voir avant tout le monde, surtout quand tu es jeune. Tu ne peux pas te rattraper. Tu dois rester concentrer 95 minutes pour ne pas pénaliser ton équipe. Il faut essayer de comprendre très vite parce que ce n'est pas tout le monde qui comprend vite !

Sur le terrain, on vous voit beaucoup évoluer sur le flanc droit : est-ce là que vous vous sentez le mieux ?
J'ai un faible pour le côté droit. J'ai plusieurs options : je peux rentrer intérieur, je peux aller sur mon pied droit, je peux m'appuyer sur un autre et redemander ensuite, je peux centrer de loin, je peux tirer de loin... Quand tu provoques ton défenseur, que tu ne le lâches pas, que tu recommences même quand tu rates. Tu ne lâches pas le steak. Provoquer, dribbler, quand tu es un joueur offensif, c'est quelque chose de très excitant.

Quelle importante a Boulaye Dia au quotidien pour vous ?
Je suis toujours avec lui. Si tu vois Boulaye, tu vois Natha. Si tu vois Natha, tu vois Boulaye. C'est comme mon grand frère. Il m'a pris sous son aile. Sur le terrain, ça peut se remarquer qu'on a une bonne complicité. On se cherche souvent. Dans le vestiaire, je suis son protégé. Des fois, sur le terrain, il y a des litiges et il n'aime pas trop qu'on me titille. Je prends beaucoup de lui, je le regarde beaucoup jouer. Ses appels, sa technique, son intelligence de jeu parce qu'il est quand même petit pour jouer en pointe (Il rit) !
 
C'est donc bien qu'il ne soit pas parti lors des précédents mercatos...
Oui, ça m'aide beaucoup.

«Je suis toujours le petit chouchou»

Aujourd'hui, diriez-vous que votre place dans le vestiaire rémois a changé par rapport au tout départ ou vous êtes toujours le petit ?
Non, je suis toujours le petit chouchou à qui il ne faut pas toucher (Il rit). Cela n'a pas trop changé. C'est toujours pareil. Même si je joue, mon comportement est toujours le même. Je ne vais pas changer de statut parce que je joue plus qu'untel. Je garde ma joie de vivre. Je fais des blagues quand il faut. Je mets de l'ambiance. Ça ne change pas.

«Si tu vois Boulaye, tu vois Natha. Si tu vois Natha, tu vois Boulaye. C'est comme mon grand frère.»

Vous avez disputé 21 des 22 matches de votre équipe depuis la fin septembre. Pourtant, avant cela, vous aviez pratiquement disparu des groupes de David Guion, que ce soit pour la Ligue 1 mais aussi pour les tours de qualification de Ligue Europa. Que s'était-il passé ?
Il n'y a pas d'explication. C'étaient les choix du coach qu'il fallait respecter. Je comprenais. J'étais un peu déçu de ne pas pouvoir aider l'équipe. Je n'étais pas trop bien en début de saison. Je jouais plus individuellement, et pas trop au service du collectif. Maintenant, j'ai pris conscience qu'il faut jouer avec sa tête. Je ne pensais qu'à gagner ma place à tout prix. Je faisais quelques mauvais choix. J'ai vite pris conscience que le foot est un sport d'équipe. Maintenant, ça va mieux. Le coach m'a juste dit qu'il ne fallait pas baisser les bras.

Diriez-vous que vous avez eu besoin de digérer un peu votre début de carrière ?
Oui et non. Tout vient vite. A 17 ans, on te lance. Ce n'est pas facile. Il faut garder la tête froide. Il faut rester focus. J'ai vite pris conscience que c'était un marathon, qu'il fallait avoir un mental à toute épreuve et le garder. Aujourd'hui, ça me sourit. Il faut continuer. Le coach est là pour m'aider. C'est une épaule sur laquelle je peux m'appuyer. C'est une relation de confiance. Il m'a pris à l'âge de 13 ans, ce n'est pas rien.

«Ç'a mis du temps, quand même. Ne plus s'habituer à la vie d'avant... Mais j'ai vite compris que ça devient mon métier et qu'il faut changer sa vie.»

Boulaye Dia, Kaj Sierhuis, Anastasios Donis, Dereck Kutesa, Mathieu Cafaro, Arbër Zeneli, Moussa Doumbia, Fraser Hornby et vous : en début de saison, l'extrême concurrence du secteur offensif a-t-elle pu également vous effrayer ?
Non, pas du tout. Si cela t'effraie, tu tombes. Il fallait se donner à fond à chaque entraînement pour avoir sa chance. L'hygiène de vie et tout ce qui est extra sportif m'ont beaucoup aidé. Tout le travail invisible.

Vous avez changé des choses à ce sujet ?
Beaucoup de choses. Par exemple ? Je ne peux plus manger la recette de maman ou n'importe quoi. Je fais mes courses avec un préparateur physique. Le but est d'être au top tout le temps.

Cela a mis du temps à être acquis ?
Ç'a mis du temps, quand même. Ne plus s'habituer à la vie d'avant... Mais j'ai vite compris que ça devient mon métier et qu'il faut changer sa vie.»

Timothé Crépin