Pascal Rigo : «Trouver la meilleure solution possible pour les Girondins»
A 60 ans, depuis la Californie où il s'est installé en 1991, Pascal Rigo n'a jamais oublié les Girondins, son équipe de coeur, le club de sa région natale. Aujourd'hui, alors que le club est dans la tourmente après le désengagement de King Street son propriétaire, l'entrepreneur français, spécialisé dans la boulangerie, met sur pied un projet de reprise. Et le détaille pour France Football.
A trois journées de la fin du Championnat, les Girondins n'ont pas encore assuré leur avenir en Ligue 1. Le déplacement samedi à Nantes s'avère décisif dans cette lutte pour le maintien. Pourtant, une autre course, tout aussi vitale, s'est engagée depuis le 22 avril dernier et l'annonce du désengagement financier de King Street, le propriétaire. Placé sous protection du tribunal de commerce de Bordeaux, les Marine et Blanc, dont le déficit en fin de saison est estimé à 80 M€, s'interrogent sur leur avenir. Le maire, Pierre Hurmic, des anciens joueurs et un ex-dirigeant (Jean-Didier Lange) se mobilisent pour la survie du club et ont même créé samedi 1er mai un comité de soutien et de vigilance en prévision d'une éventuelle vente pour «poser les principes et les valeurs à ne pas brader». Car les plans de reprise semblent se multiplier pour ce monument du football français. FF a rencontré Pascal Rigo qui détaille son projet et ses idées pour le sextuple champion de France.
«Pascal Rigo, votre nom revient régulièrement depuis plus de six mois quand on évoque l'avenir des Girondins et une possible reprise du club. La mise sous protection des Marine et Blanc le 22 avril dernier semble avoir accéléré les choses...
Oui, mais il n'y a pas que cela. L'an dernier, déjà, nous avions élaboré un projet. Nous avions contacté King Street. Notre intention première consistait en une participation minoritaire au capital avec la possibilité de devenir majoritaire et de reprendre la totalité du club à plus ou moins long terme. Nous n'avions pas du tout l'intention de continuer à être associés avec un fonds d'investissement. Car, quand vous êtes associé avec un fonds d'investissement, vous devez suivre les prérogatives de ces organismes financiers dont le but ultime est la sortie de l'opération. Nous, la sortie, nous nous en moquons. Nous, nous voulons construire, continuer à construire, construire de mieux en mieux. Nous voulons essayer de trouver un modèle économique pérenne, qui puisse marcher. Et, peut-être aussi que nous avons une meilleure compréhension de l'écosystème actuel du football. La pandémie, les huis clos, le fiasco Mediapro, tous ces événements ont modifié la donne et nous ont renforcé dans notre idée que le modèle économique du foot doit changer.
C'est-à-dire ?
Les quatre piliers économiques du football, les droits télé, les transferts, les recettes billetterie et le sponsoring, sont en train de chanceler. Concernant les droits télé, nous connaissons tous l'incertitude sur le montant à percevoir pour les trois prochaines saisons, qui seront amputés à la source du remboursement du prêt garanti par l'Etat. Les spectateurs ? Nous espérons qu'ils vont revenir, mais on ne sait pas dans quel état d'esprit, et comment, et combien. Les transferts des joueurs ? Nous nous posons quand même quelques petites questions sur le marché anglais, en raison du Brexit. De plus, la pandémie a impacté à la baisse le montant des transactions. Enfin, en ce qui concerne le sponsoring, la source se tarit gentiment. En effet, les grosses entreprises subissent une énorme pression de la part des médias et de leurs employés pour recruter, s'engager dans des projets RSE (responsabilité sociétale des entreprises), des initiatives qui peuvent avoir de l'impact demain. Aujourd'hui, le foot n'est pas forcément un vecteur représentatif de la société future. Donc, les gars ont plutôt tendance à signer un chèque non pour un club de foot, mais plutôt pour une association, pour une action écologique, pour la transition énergétique... Ces quatre sources principales de revenus demeurent incertaines. Notre démarche part de ce constat.
«Le modèle économique du foot doit changer»
Très bien, mais concrètement cela se traduit comment dans votre projet de reprise des Girondins ?
Quand tu n'as pas des ressources sans limites comme certains investisseurs dans le football aujourd'hui et que tu veux bâtir quelque chose de très pérenne avec une vraie vocation locale, tu es obligé de limiter les risques. Aujourd'hui, même si le court terme est très important, nous sommes là pour créer les Girondins de Bordeaux et être présent dans dix ans.
Vous dites «nous» ? Qui se cache derrière ce «nous» ?
Notre projet repose tout d'abord sur la volonté de passionnés de football et/ou d'amoureux des Girondins. Je suis un amoureux des Girondins. Et je ne pouvais m'entourer que de personnes qui partagent ce sentiment. Mais cela n'est pas tout et cela ne suffirait pas. Il y a avec nous des gens compétents en matière de gestion de structure sportive qui ont une expérience, un savoir-faire et des volants financiers importants.
Vous avez évoqué dans un entretien accordé le 29 avril à Sud Ouest la notion de packs d'investisseurs ? Quels sont-ils ?
Tout d'abord, un pack d'investisseurs locaux. Il compte environ une quinzaine de personnes. Lui sont adjoints deux packs internationaux dont le premier est constitué de partenaires anglo-saxons, en grande majorité des propriétaires de franchises sportives américaines, essentiellement de MLS. Outre-Atlantique, il y a un effet boule de neige car les gens comprennent notre projet et l'intérêt d'avoir accès à notre modèle de formation, une référence mondiale. Nous comptons également dans ce pack des investisseurs dans le sport britannique et dans la programmation de spectacles en Grande-Bretagne. Toutes ces personnes sont déjà impliquées dans le sport et vont nous apporter énormément. Nous allons pouvoir établir des passerelles fortes et innovantes avec les franchises MLS et les universités américaines autour du sport, évidemment, mais également autour de l'éducation. Nous souhaitons également développer le football féminin que nous n'oublions pas dans notre projet, loin de là. La section féminines des Girondins constitue une vraie réussite et une vraie priorité pour nous. Le second pack international, plus petit, consiste à associer des investisseurs d'un autre continent toujours oublié dans la capitalisation des clubs européens.
«Établir des passerelles fortes et innovantes avec les franchises MLS et les universités américaines autour du sport et de l'éducation»
Et le monde viticole auquel François Pinault a lancé un appel pour sauver le club ? Est-il prêt à vous suivre ?
Tous les acteurs du tissu économique local ont un point commun, la marque Bordeaux. C'est certainement un sujet sur lequel François Pinault est particulièrement sensible lui aussi, et nous sommes tous des ambassadeurs de notre région. Nous discutons avec tout le monde et nous essayons de fédérer autour du projet. Une lettre ouverte aussi belle soit-elle ne suffit pas, il faut créer une dynamique derrière. Nous ne nous attendons pas à ce que le monde viticole soit le seul à sauver les Girondins de Bordeaux, nous le ferons tous ensemble.
Ferez-vous appel à l'emprunt pour financer la reprise ?
Non. Nous multiplions ces packs d'investisseurs pour éviter cela et assurer un développement durable. Et lancer la machine dès la reprise.
Justement, tout le monde parle de la dette du club estimée à 80 M€. Cela ne vous effraie pas ?
Honnêtement, dans une procédure judiciaire, beaucoup d'éléments entrent en compte. Dès que nous allons déposer notre projet dans les jours qui viennent, nous aurons accès à la totalité du dossier. Mais nous sommes relativement confiants sur la simplicité de la nature des éléments qui peuvent y figurer. Je pense que nous en avons anticipé la majeure partie.
Vous semblez avoir bien préparé votre dossier...
Les meilleurs dossiers, ce sont ceux qui sont très en avance comme le nôtre parce que cela fait longtemps que nous le préparons, et ceux qui arrivent sur la fin de la procédure parce qu'ils sont bien informés. Quand ce sera le moment, nous savons très bien avec Stéphane Martin (l'ancien président des Girondins de mars 2017 à novembre 2018 pressenti pour occuper à nouveau ce poste si le projet aboutit) que des dossiers très sérieux vont voir le jour. Et, si un dossier dispose de plus de ressources que le nôtre, mais avec un ancrage local moindre, nous serons les premiers à aller les voir et à leur dire : « Ecoutez, voilà notre projet, le vôtre a peut-être plus de chances d'être retenu par le mandataire, parce qu'il a une surface financière beaucoup plus importante, mais nous serons prêts à être force de propositions et le relais local indispensable. Nous sommes vraiment là pour trouver la meilleure solution possible pour les Girondins de Bordeaux. Mais, pour le moment...
Mais ?
Il faut savoir d'abord quel est le véritable mandat du mandataire. Est-ce négocier le remboursement et les créances, la dette donc, est-ce recevoir des dossiers de potentiels acquéreurs ou est-ce les deux ? Moi, je pense que ce sont les deux. Personne ne le sait. La balle est dans le camp de King Street qui peut arrêter la procédure du jour au lendemain. Soit, ils remettent au bassinet, soit le club dépose le bilan. Ce serait terrible, il repartirait du National 3. Si King Street sort de la procédure judiciaire et qu'ils refusent de regarder des dossiers d'acheteurs cela veut dire qu'ils ont décidé que tout passe en perte. Le club peut alors partir en décrépitude totale. Nous espérons que King Street ne désire qu'une chose : sortir par le haut. De notre côté, nous sommes persuadés que l'équipe en place n'aspire qu'à cela.
L'idéal serait donc l'abandon de la dette par Fortress et un redressement judiciaire ?
Un redressement judiciaire n'est jamais l'idéal mais cela nous permettait de réaliser des investissements dans ce qui compte, le sportif. Car tout part du terrain et de l'effectif dont on pourra disposer. Nous pourrions alors dégager une enveloppe beaucoup plus importante afin d'être compétitif dès la première année. Il faudra savoir quels sont les joueurs qui vont rester, quel sera l'effectif et aussi quel sera l'entraîneur qui va venir et qui collera parfaitement au style de jeu souhaité et à la culture du club.
«Des coaches français qui sont jeunes, dont certains sont déjà passés aux Girondins»
Vous avez déjà le nom d'un entraîneur ?
Il y a un entraîneur sous contrat. Nous respectons l'homme et sa carrière. Comme tout le monde, nous savons qu'il s'interroge sur son avenir. S'il décidait de partir, nous avons déjà travaillé sur des pistes. Nous n'avons pas un nom précis, mais nous avons plusieurs possibilités extrêmement crédibles. Des coaches français qui sont jeunes, dont certains sont déjà passés aux Girondins et ressentent un véritable amour pour les Marine et Blanc. Nous réfléchissons également à tout un système pour améliorer la performance sportive. L'une de nos idées force est de devenir propriétaire de notre centre de formation pour pouvoir y investir massivement, notamment en y créant une structure féminine qui n'existe pas aujourd'hui. La formation est l'un des piliers essentiels de notre projet. L'innovation sera la clé de voute pour améliorer la performance sportive, en travaillant sur le sommeil, la nutrition, la rééducation fonctionnelle avec des experts du monde universitaire et de la recherche reconnus internationalement. Ce centre sera ouvert aux professionnels et aux amateurs pour que les Girondins retissent le lien avec les clubs de la région. Cet ancrage local est essentiel à nos yeux, je le répète.
Ce centre de formation semble vous tenir à cœur ?
Oui. Aujourd'hui, les gamins dorment à la Ligue car il y a un problème de tout-à-l'égout et que personne n'est capable de payer un billet pour le résoudre. Le centre est devenu vétuste. Mais il ne faudrait pas grand-chose pour que ce centre attire très rapidement tous les talents de la région. Tout cela doit s'accompagner d'un plan pour faire monter en compétence les clubs régionaux, pour créer une concurrence et donc, avec cette montée en compétence, avoir une formation initiale très forte, un vivier de joueurs qui va devenir meilleur, et meilleur, et meilleur.
«Sans cette marque Bordeaux, la moitié des investisseurs ne seraient pas à nos côtés»
Nous vous avons également entendu souvent évoquer la marque, l'attachement à des valeurs, un esprit club...
(Il coupe.) La marque. Mais la marque, elle se mérite, si t'es pas beau, si t'es pas bon, si t'as pas les bonnes valeurs, si tu n'es pas bienveillant, tu n'as pas de marque. Si t'es un connard fini, ta marque, elle ne vaut rien, elle vaut zéro. Ta marque, tu la crées d'abord chez toi, dans ta région auprès de tes clubs, auprès de tes jeunes joueurs, de tes supporters et de tes investisseurs régionaux et internationaux. Il faut une marque Bordeaux avec des valeurs et de l'innovation. Tout le monde connaît Bordeaux dans le monde entier. Il n'y a aucune difficulté à valoriser cette marque. Sachez d'ailleurs que, sans cette marque Bordeaux, la moitié des investisseurs ne seraient pas à nos côtés.
«Si l'on veut faire de la performance, il faut rester focus sur le football»
Le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, le président de Bordeaux Métropole, Alain Anziani, ont évoqué le samedi 1er mai la possibilité de céder le Matmut Atlantique au futur repreneur. Ce rachat pourrait-il constituer un levier de croissance pour le club ?
Mais que ce stade est beau ! Oui, c'est un élément central dans la relance des Girondins, même si une capacité de 42 000 personnes, c'est trop. Nous envisageons de placer une structure amovible, déjà financée par un investissement séparé, afin de faire passer la jauge à 20 ou 25 000 personnes pour certains matches, pour que le stade ne résonne pas comme une cathédrale vide, pour également projeter sur cette structure nombre d'animations. Nous voulons que le stade soit un lieu de divertissement et de plaisir. Cela peut vous paraître anecdotique mais sachez que, dans notre pack international d'investisseurs, figurent une société d'envergure mondiale spécialisée dans la gestion des enceintes sportives et une autre d'entertainment. Le fait d'avoir un grand stade n'est pas simplement un problème pour les matches et le sportif, c'est aussi un frein à l'organisation de certains événements. Ces investisseurs-là, qui ne seront pas majoritaires dans notre montage, sont très intéressés à l'idée de reprendre l'enceinte. Moi, je pense que ce n'est pas le boulot d'un club de football professionnel de gérer un stade et de l'entertainment. Si l'on veut faire de la performance, il faut rester focus sur le football. Nous sommes un club professionnel de football. Tout le reste, c'est très bien si l'on s'en occupe en amont... Nous, ce n'est pas notre truc. Nous ne sommes pas prêts à racheter le stade, nos partenaires, oui, car cela fait du sens, c'est leur business au quotidien. Nous sommes un club de foot dont la première des préoccupations est le terrain, le sportif, la valeur de l'équipe, le spectacle qu'elle offre, le plaisir qu'elle procure. Mais si nos partenaires savent faire ce genre de choses, on va laisser faire les pros. Quand le feront-ils, la première, la deuxième année ? Je ne sais pas. Pour nous, je le répète, tout doit partir du terrain.»
Laurent Crocis