
Portland, la ville qui aime les footballeuses
La ville de Portland, dans l'Oregon, n'est pas la plus peuplée ni la plus attractive des métropoles américaines. Pourtant, elle abrite l'une des meilleures équipes féminines de football du monde, et les meilleures joueuses américaines ont porté son maillot.
«Il y a très peu de joueuses qui ne veulent pas jouer à Portland». L’assurance de Gavin Wilkinson, le directeur général des Portland Timbers, ne trompe pas. En six ans, cette petite ville du nord-ouest des États-Unis est devenue une actrice aussi irrésistible qu'incontournable du soccer aux États-Unis, particulièrement par son équipe féminine, le Thorns FC, qui a envoyé cet été neuf joueuses au Mondial. Deux fois championnes de NWSL (la National women’s soccer league), finalistes de la dernière édition, les filles de Portland sont aujourd’hui une marque d’excellence dans le football outre-Atlantique.
Pas les «Timbers féminines»
À première vue, Portland n’est pas une ville qui transpire le sport. Dans cette métropole d’un peu plus de 500 000 âmes, perchée au nord de l’Oregon, à 8 200 kilomètres de Paris, le prestige sportif se résume à une équipe honnête de NBA, les Trail Blazers, finalistes de la conférence Ouest cette saison, et aux Winterhawks, une formation de hockey sur glace de moins de 21 ans. Pour le reste, il faut guetter les terrains universitaires à travers l’État pour trouver un peu d’action. Tout se bouscule au début des années 2010. Alors que les Timbers, l’équipe mascuine, viennent d’intégrer la MLS (la Major League Soccer), la fédération américaine planche sur une grande réforme du football féminin professionnel aux États-Unis. Forcément, Portland est partante pour faire partie des huit équipes fondatrices de la nouvelle NWSL, qu’elle ambitionne déjà de marquer : «La création de cette Ligue, c’était ce qui pouvait arriver de mieux au football féminin, se souvient Gavin Wilkinson. Et même si tous les clubs partaient du même point, nous avions dès le début l’ambition de devenir l’une des meilleures équipes du monde.»
Meritt Paulson, président et propriétaire des Timbers, valide et soutient totalement le projet. Tous les moyens du club dont peuvent profiter les hommes sont mis à disposition des femmes : infrastructures, staff, et même le Providence Park et ses 25 000 sièges. Mais pour autant, la formation n’est pas une «Timbers féminine» : «Nous avons décidé qu’il était mieux qu’elles ne soient pas dans l’ombre de l’équipe masculine, explique Gavin Wilkinson. Elles profitent évidemment des infrastructures du club, mais nous trouvions essentiel que l’équipe féminine ait sa propre identité, sa propre marque, pour pouvoir la différencier clairement des hommes et l’aider à écrire sa propre histoire. Nous sommes un seul club, mais deux équipes très différentes.» Les Thorns («épines», en hommage à la Rose qui est le symbole de la ville) sont donc créées avec un nom, un logo et des couleurs différentes des Timbers. Et avec elle, c’est toute la métamorphose de Portland en une vraie ville de soccer qui s’opère, et qui se matérialise par les signatures, sous contrat fédéral, de cinq des meilleures joueuses du continent pour la saison inaugurale : les Canadiennes Karina Leblanc et Christine Sinclair et les Américaines Rache Buehler, Tobin Heath et Alex Morgan. Des «fondations formidables», selon les mots de la première coach de l’histoire du club Cindy Parlow-Cone, qui permet aux Thorns de devenir, le 31 août 2013, les premières championnes de l’histoire de la NWSL.
«Portland est un exemple en matière de football féminin»
L’ambition des Thorns de bâtir l’une des meilleures équipes du monde ne s’arrête pas à ce titre inaugural. Au centre du projet, l’envie d’attirer constamment les meilleures joueuses, d’améliorer toujours les conditions de travail, est omniprésente. «Chaque saison, on améliore ou ajoute de nouvelles choses au club», explique Nadine Angerer. L’ancienne gardienne internationale allemande, double championne du monde, a rejoint Portland en 2014 pour y terminer sa carrière. «J’avais d’autres offres aux États-Unis, mais en discutant avec le club, j’ai été séduite par leur organisation et leur volonté de s’améliorer chaque saison, se remémore-t-elle. J’ai vu que quelque chose était en train de se développer. Aujourd'hui, je pense que Portland est un exemple en matière de football féminin.» Angerer est bien placée pour le savoir : après sa carrière, elle a décidé de rester à Portland pour devenir entraîneure des gardiennes des Thorns, ajoutant à l’excellence et à l’expertise du staff de l’entraîneur Mark Parsons.
L’apport de joueuses étrangères de très haut niveau aide le club à se développer. «Chaque nouvelle joueuse que l’on recrute apporte quelque chose de différent, et c’est sain pour le club», acquiesce Gavin Wilkinson. Nadine Angerer n’est pas la seule joueuse étrangère de classe mondiale à être partie réaliser son rêve américain à Portland. L’effectif actuel compte sept joueuses étrangères de cinq nationalités (Australienne, Canadienne, Suisse, Brésilienne, Islandaise), dont cinq sont actuellement avec leur sélection à la Coupe du monde. Le club et son organisation, son ambition, séduisent. En 2016, c’est ainsi à Portland qu’Amandine Henry décide de signer lorsqu’arrive la fin de son aventure avec l’Olympique Lyonnais. «Amandine était en fin de contrat et rêvait de jouer dans le pays du football féminin, se remémore son agent, Sonia Souid. J’ai fait mon travail de prospection et à Portland, l’entraîneur la connaissait parfaitement, c’était un grand admirateur. Elle s’est sentie désirée par le club.»Raise your hand if you're excited for our next home game. Join us next Friday as we host the Reign!
— Portland Thorns FC (@ThornsFC) June 25, 2019
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19 000 personnes à chaque rencontre
Niveaux infrastructures et professionnalisme, la Lilloise de naissance ne fait pas forcément un grand bon en avant en passant de Lyon à Portland. En revanche, en plus de la qualité du Championnat, bien plus relevé et homogène que la Divison 1 française, un autre argument a joué en la faveur des Thorns : «On a regardé quelques vidéos de leurs matches à domicile et on a trouvé l’ambiance incroyable, explique Sonia Souid. Il y a une vraie ferveur autour du football féminin dans cette ville.» Les Portlandais et les Rose City Riveters, le groupe de supporters des Thorns, remplissent le Providence Park à une moyenne de 19 000 spectateurs pour chaque rencontre à domicile. «Vous connaissez une autre équipe féminine qui affiche 19 000 spectateurs en moyenne ? interroge Nadine Angerer. Même pour notre match d’ouverture cette saison, sans nos neuf internationales, le stade était plein. Les gens ici ont une vraie culture du football.»
Une admiration pour le football féminin qui a beaucoup affaire à la mentalité de la ville. «Portland, ce n’est pas la ville américaine typique, analyse Nadine Angerer. Ils sont très ouverts d’esprit, très libéraux. Les gens ne vont pas juger ici si ce sont les hommes ou les femmes qui jouent, ils aiment juste le football.» Et Gavin Wilkinson d’abonder : «On a vraiment l’impression de faire quelque chose de pertinent avec le football ici, à Portland. Je me souviens de la vitesse à laquelle les gens ont adopté cette équipe. Il y avait une vraie demande du public, qui n’a cessé de se développer depuis. Cette ville est passionnée de football, et ça donne de la valeur à ce que l’on fait.» Pour lui, si tant de footballeuses étrangères viennent à Portland, cette ville et son environnement n’y sont pas pour rien. Lui-même, Néo-Zélandais d’origine, a rejoint les Timbers pour y finir sa carrière de joueur et s’y est reconverti en entraîneur, puis en dirigeant. Tout comme Nadine Angerer. «J’avais d’autres options, en Allemagne notamment, mais ma femme et moi nous sentons comme à la maison à Portland», avoue aujourd'hui l’ancienne portière allemande. «Je fais le job de mes rêves dans la ville de mes rêves, c’est la meilleure chose qui pouvait m’arriver.»
Alexandre Aflalo Suivre @aflaalex