Présumée innocence
L'éditorial de Pascal Ferré, rédacteur en chef de «France Football».
En même temps qu'est tombé le verdict médiatico-socio-populo-démago faisant d'un jeunot de 22 ans le coupable d'une bande désorganisée de quasi-trentenaires bouffis du même orgueil est intervenue la fin d'un cycle. Celle de l'innocence. 1095 jours après cet inoubliable France-Argentine qui l'avait consacré chouchou (inter) national, Kylian Mbappé a donc perdu son immunité. Celle qui échoit aux p'tits nouveaux auxquels on passe beaucoup, aux ambitieux insouciants, aux crâneurs sympas, aux agaçants talentueux. Ce tir au but foireux face à la Suisse s'est mué en tir au pigeon et a fait basculer «KM» dans une autre séquence, une autre dimension, une autre époque. Un autre morceau de vie, sans doute. Marqué désormais par cette cicatrice avec laquelle il devra vivre comme d'autres losers magnifiques - tels Ginola, Pedros ou Bossis - ont dû le faire auparavant, pour des raisons et dans des contextes différents.
Le problème n'est pas de savoir si l'échec des Bleus est imputable à la suffisance, à l'arrogance ou à l'insuffisance du plus jeune du groupe. Mais plutôt de se poser une telle question à l'issue d'une compétition qui renvoie surtout l'image d'une équipe sans cohésion, sans leader, sans cap, sans discipline, sans idée, sans âme, sans identité, sans allant, sans envie collective. Sans trop de bol, non plus. Dans ce pays de fou, mais certainement pas de foot, Mbappé endosser à son tour l'habit du renégat national et cristallise les aigreurs de ces connaisseurs" versatiles, dignes héritiers de ceux qui avaient réservé pareil sort aux Kopa, Platini, Henry ou Zidane, tous lynchés après avoir été tant léchés. Il n'est surtout pas question de disculper le numéro 10 des Bleus de ses manques (efficacité et patience). Mais nous vient une question innocente : de quel joueur les Bleus auront-ils le plus besoin dans 500 jours, au moment où ils iront, s'ils se qualifient, défendre un titre qui semble appartenir à un autre temps ?