Jules Kounde of Sevilla during LaLiga, football match played between Sevilla Futbol Club and Real Betis Balompie at Ramon Sanchez Pizjuan Stadium on March 14, 2021 in Sevilla, Spain. (Joaquin Corchero/Joaquin Corchero / AFP7)
Serge Costa : «Le football démarre dans le cerveau»
Dans un football qui veut aller toujours plus haut, toujours plus vite, Serge Costa, membre du staff d'Amiens en L2, accompagne une vingtaine de joueurs professionnels dans la recherche d'un développement supplémentaire. Avec la recherche permanente de la perfection. Il raconte sa méthode et les enjeux autour de cette quête de la rentabilité.
«C'est quoi, vraiment, un player development coach ?
C'est plein de choses. Tout le monde peut le faire ! C'est aider les joueurs à être plus sur le terrain. Plus ce que tu veux ! Plus rapide, plus fort, plus efficace, plus intelligent, plus physique... C'est mettre le joueur dans les meilleures conditions, et le rendre meilleur.
D'où vient cette demande des joueurs ?
On a démarré avec Bouna Ndiaye, l'agent de Rudy Gobert et Nicolas Batum (NDLR : Joueurs de basket-ball, respectivement chez les Utah Jazz et les Los Angeles Clippers). En NBA, aux Etats-Unis, c'est quelque chose qui se faisait souvent. Avant, en NBA, il y avait Michael Jordan et les autres. Aujourd'hui, tu as Stephen Curry (Golden State Warriors), Klay Thompson (Golden State Warriors), Kyrie Irving (Brooklyn Nets), James Harden (Brooklyn Nets), Giannis Antetokounmpo (Milwaukee Bucks)... Tu peux sortir des tops joueurs partout et tu peux en citer et en citer. Je crois qu'il y a une obsession de se dire : "Ouais, je suis fort, mais les autres aussi le sont. Donc comment je fais pour être tout le temps performant, voire le meilleur ?" Je pense que c'est venu de ça, d'une "surconcurrence" de talents. Le niveau devient de plus en plus homogène, mais vers le haut. Il y a trop de bons joueurs partout. Tu as vu l'équipe de France Espoirs ? Tu as vu les talents ? Et il en manque ! Donc le player development est là pour des gains marginaux. Mais gain marginal, plus gain marginal, plus gain marginal...
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«"Rends moi plus rentable"»
Est-ce en quelque sorte une photocopie du monde dans lequel on vit ?
Sûrement. Toujours plus vite, toujours plus fort, toujours plus concurrentiel, des salaires toujours plus élevés, des bulles spéculatives... Je parle même de bourse, pas que des salaires. C'est l'ultra-concurrence exacerbée de tout. Et donc forcément dans le football.
Quand un joueur ou son entourage vient vous voir pour vos services : quelles sont leurs demandes ?
La demande est très spécifique. C'est "rends moi plus rentable", "je veux être plus stimulé sur le jeu en permanence". C'est-à-dire être plus à fond sur le football, les qualités... Je travaille avec Adrien Thomasson (Strasbourg) ou Yacine Adli (Bordeaux) et les mecs me disent : "Sur le terrain, j'ai pensé à ça !" Au sujet d'une de ses passes, le week-end dernier (à Dijon), Yacine Adli m'a dit : "C'est parce que tu me casses la tête avec ça." Pour, dans certaines situations, trouver la passe qui déséquilibre au lieu de jouer neutre.
Quels exercices ont amené à cette passe de Yacine Adli, par exemple ?
Un exercice de prise de conscience de "J'ai la technique pour la faire, il y a la place pour la faire". Puis une coordination collective. Comme je dis toujours : on s'entraîne seul, mais avec les autres, finalement. Même s'ils ne sont pas là physiquement, ils sont présents psychiquement, mentalement. Donc Yacine voit la passe, il la maîtrise techniquement, il trouve la motricité pour, avec de la vidéo ou lors d'un exercice spécifique. Et, surtout, quand la passe est ratée, on veut décrypter derrière le pourquoi. Est-ce que c'est l'intention ou la réalisation ? L'intention, ce sera tout ce qui est tactique, mental, stratégie de jeu, collaboration entre les joueurs. La réalisation, ce sera purement technique. Exemple avec Adrien Thomasson : actuellement, dans les intentions, il est gigantesque, dans la réalisation, c'est plus complexe. On le sait, donc on va travailler dessus.
«Surtout, quand la passe est ratée, on veut décrypter derrière le pourquoi, est-ce que c'est l'intention ou la réalisation ?»
Comment travailler sur les ressources morales ?
Il y a beaucoup de manières. Je prends l'exemple d'Arnaud Lusamba à Amiens : c'est un "matraquage" (Il sourit). Il est adorable, intelligent, il comprend trop le jeu, mais il n'est pas obsédé par les trente derniers mètres et par le but. Donc il n'y a pas une action, où il ne prend pas une décision rentable, où je ne vais pas l'attraper. Tu essaies de le piquer, de l'embrasser... Il y a beaucoup de leviers. C'est "Ne lâchez rien !" Il y a une répétition, vraiment, à avoir pour que ça rentre. Après, le mieux, bien sûr, c'est quand ça vient tout seul.
«Il y a réfléchir le jeu, mais il y a aussi le faire, et bien le faire»
L'objectif est-il en fait de pousser toujours plus les fonctions cognitives du joueur ?
Le football démarre dans le cerveau. Il y a un football qu'on ne voit pas, qui est dans la tête de onze joueurs face à onze joueurs. Ça va encore plus loin : ce n'est pas que le cerveau du joueur, c'est le cerveau du joueur connecté à celui de son partenaire. Donc oui, c'est travailler ce qu'on ne voit pas... mais qui existe ! Quand un joueur me dit : "Là, j'ai pensé à toi sur le terrain", ça veut dire que le dépassement de fonction et le fait de toujours en vouloir plus marchent.
De plus en plus de joueurs et entraîneurs parlent du rôle de la tête sur un terrain.
C'est venu de l'Espagne championne du monde, championne d'Europe. Enfin, c'était déjà là avant... La tête, ça veut dire quoi ? France 1998, c'était la tête. J'ai vu Fabien Barthez à Toulouse dernièrement : Barthez, c'est une forme de tête. Quand il te sort l'arrêt face à Ronaldo, et qu'il n'a peur de rien... La tête, ce sont plein de choses : l'intelligence de jeu, l'anticipation du jeu, la création du jeu. C'est le culot : il y a réfléchir le jeu, mais il y a aussi le faire, et bien le faire. Donc, la tête, ça existe depuis toujours. C'est juste que c'est de plus en plus dur, il y a de moins en moins d'espace, les joueurs vont de plus en plus vite, ils sont de plus en plus athlétiques et peuvent répéter les efforts. Techniquement, ils n'ont presque pas de déchet... Ce n'est pas que le QI football, c'est plus que ça. Il y a les ressources morales. C'est un mix des deux.
Combien de temps collaborez-vous avec un joueur ?
Le but n'est pas de garder tous les joueurs ! Je suis toujours avec Idrissa (Gueye) parce que c'est un super ami. Même chose pour les frères Ayew. Mais, par exemple, un André Ayew n'a plus besoin de nous aujourd'hui. C'est vraiment davantage pour se rassurer, parce qu'on est amis, qu'on poursuit. Les Jules Koundé ou Mattéo Guendouzi sont encore des jeunes joueurs en développement, de 17 à 23 ans, cela a été de bons moments, mais le but n'est pas de faire quinze ans avec un joueur ! Ce n'est pas de les rendre dépendant. Sinon, c'est que tu as raté quelque chose.
«La tête, ça existe depuis toujours. C'est juste que c'est de plus en plus dur, il y a de moins en moins d'espace, ils vont de plus en plus vite, ils sont de plus en plus athlétiques et peuvent répéter les efforts. Techniquement, ils n'ont presque pas de déchet... Ce n'est pas que le QI football, c'est plus que ça. Il y a les ressources morales.»
«On a évité beaucoup d'embrouilles entre joueurs et coaches !»
Comment garder la bonne place, la bonne distance entre vos séances individuelles et l'entraîneur "principal" du joueur que vous encadrez ?
Ce n'est jamais compliqué. En premier lieu, tu respectes le principe de jeu du coach parce que sinon tu ne joues pas. Et si tu ne joues pas, tu ne peux pas exister. Le coach, c'est le boss. Donc on analyse un maximum ce qu'il veut mettre en place et comment il veut utiliser le joueur. Parfois, même, il y a des joueurs qui connaissent encore mieux les principes de jeu que les coaches. Le problème c'est : est-ce que les joueurs veulent l'appliquer ? Même s'ils savent qu'il faut respecter ce principe de jeu, l'ego peut dire : "Je n'ai pas envie de donner, je vais jouer ma partition." Là, c'est plus complexe. C'est en faire qu'à sa tête parce qu'il est en réussite, en échec, en embrouille... Quand j'ai un garçon qui ne joue pas, la première chose que je demande, c'est de créer une relation avec son coach ou les adjoints, savoir pourquoi il ne joue pas, comment mieux jouer. Car s'il rentre en conflit, il aura encore moins de chance de jouer. Chez Playmaker, on a évité beaucoup d'embrouilles entre joueurs et coaches ! Notre intérêt, c'est que les deux s'entendent pour que le joueur soit sur le terrain. Donc, non, je n'ai jamais eu un souci parce qu'on est main dans la main avec le coach, même si on ne se parle quasiment pas.
Jouez-vous parfois le rôle du confident ?
Complètement. Il pourrait y avoir du conflit d'intérêt si on n'arrivait pas à manier les choses. Des fois, tu entends des trucs, tu connais le coach mais tu la fermes car tu n'as aucun intérêt à l'envenimer (Il sourit). Si tu envenimes, le joueur ne jouera pas. Et ça peut aussi faire de la peine. On gère aussi par exemple énormément la frustration d'après-match. Donc il y a une part de psychanalyse.
Les joueurs ont leurs séances d'entraînements avec leurs clubs, avec d'autres obligations autour. Plus, donc, vos séances personnalisées. Peut-on craindre parfois d'en faire trop et de tomber dans un burnout ?
Bien sûr. Tu travailles toute l'année avec les joueurs, mais pas avec la même intensité et la même fréquence. Le but du jeu, dans une saison, est de très vite t'intégrer et, ensuite, c'est de très bien finir, car les finales de coupes, c'est au mois de mai. On ne peut pas être à fond toute une saison, mais je pense qu'on peut être rentable toute une saison. A l'image des Roger Federer, Rafael Nadal ou Novak Djokovic, des fois, on peut gagner sans être à fond. Nous, on travaille aussi là-dessus. Une passe ou un highlight peut suffire sur ton match. Donc, effectivement, il y a des routines de travail, mais il n'y a pas la même intensité sur toute la saison, parce que tu ne peux pas faire ça tout le temps en plus de ton club toute l'année. On n'est pas des robots.»
«Le but n'est pas de faire quinze ans avec un joueur ! Ce n'est pas de les rendre dépendant.»
«Les stats ne se suffisent pas à elles-mêmes»
On ose imaginer que vous utilisez beaucoup les statistiques : est-ce des données qui ont pris trop d'importance dans l'analyse ?
Ça dépend. Il faut un mix des deux. Nous, on ne prend jamais une stat. On prend une stat ET une image. Qu'est-ce qu'une passe réussie ou une passe manquée ? Par exemple, Mattéo Guendouzi va donner un ballon à Dodi Lukebakio (Son coéquipier au Hertha Berlin). Sauf qu'il va le donner au moment où Dodi est dans une trappe de deux joueurs adverses. Il va toucher le ballon mais il va se faire attraper dans cette trappe. Une stat normale te dira : "Passe réussie vers l'avant." Nous, on considère que c'est une passe ratée. Une passe réussie est une passe pour que le joueur soit dans de bonnes conditions. C'est comme quand tu recrutes : tu vas d'abord faire de la data pour avoir un panel de 15 000 joueurs, ensuite, tu en ressors 200 que tu vas voir. La stat a pris de la place, bien évidemment. Elle sert, parce qu'elle permet de voir ce que l'oeil nu ne voit pas et d'avoir plus d'informations. En lisant des stats, je vois plus vite des choses. Mais elles ne se suffisent pas à elles-mêmes. Donc on met de la vidéo avec la statistique.
On en revient presque à la NBA et l'utilisation accrue des stats...
Après, chaque joueur a ses propres stats qui l'intéressent. Jules Koundé, c'est être le mec qui prend le plus de relances et être le plus pertinent à la relance. Ainsi que gagner le plus de duels. On va utiliser seulement les stats qui, pour le joueur, servent à être rentables et performants. Tout ce qui est de trop, on l'enlève, car il y a déjà tellement d'infos... En revanche, il y a une stat qui nous intéresse, c'est la stat qui te permet de rester dans le match. C'est un truc inventé mais, par exemple, Mattéo Guendouzi, si, dans son match, il n'a pas une action à 150-180, une action en surperformance, en dépassement de fonction, ça ne va pas. Qu'il gagne ou perde 3-0, il va tout le temps essayer de la chercher. Il y a donc des stats qui te servent sur la gestion émotionnelle du joueur, justement pour la faculté à rester dans ton match.
«On ne peut pas être à fond toute une saison, mais je pense qu'on peut être rentable toute une saison.»
Timothé Crépin Suivre @T_Crepin