Andrea Agnelli (ici, en 2019) est le président de la Juventus Turin depuis 2010. (M. Bertorello/AFP)
Super Ligue : comment en est-on est arrivé là ?
Après l'officialisation de la création d'une Super Ligue européenne, anciennes gloires, entraineurs, joueurs et fans s'unissent au diapason pour crier leur dégout d'un foot business qui semble atteindre son paroxysme. Pourtant, si la nouvelle choque, elle n'apparait que comme une suite logique des choses au regard des mutations du football depuis la fin du XXe siècle.
La Super Ligue n'en finit plus de susciter un tollé médiatique depuis son officialisation dans la nuit de dimanche à lundi. 12 clubs ont décidé de créer une ligue fermée, un mini-championnat qui se terminerait par des phases finales et qui rassemblerait l'élite du football européen. Elite. Ce mot revient sans cesse car oui, cette Super Ligue représente pour beaucoup un élitisme exacerbé à la volonté incessante de faire de l'argent. Dénoncé vivement depuis l'annonce, cette Super Ligue était depuis 1998 un serpent de mer avant sa concrétisation. Aujourd'hui, au regard de l'Histoire, elle n'est finalement qu'un prolongement logique d'une dérive dans le foot-business enclenchée à la fin du siècle dernier. Retour sur 8 dates clé pour mieux comprendre comment on en est arrivé là.
1992-93 : La Coupe d'Europe des clubs champions devient la Ligue des champions
Fini la Coupe d'Europe des clubs champions, place à la Ligue des champions. Le format est le même que celui de l'édition précédente, qui marquait l'apparition d'une phase de poule après deux premiers tours éliminatoires et avant la grande finale. Le tout a pour but, évidemment, d'augmenter le nombre de matches à diffuser. Cette phase de groupe permet également d'assurer un nombre minimum de rencontres à disputer et d'écrémer totalement les surprises. En résumé, cette nouvelle formule, souhaitée par les grands clubs, leur garantit plus de revenus et plus de chance d'aller loin dans la compétition. Les privilèges apparaissent et vont se renforcer lorsqu'en 1997-98, les deuxièmes, troisièmes voire quatrièmes des grands championnats sont invités à participer à une compétition qui n'a de Ligue des champions que le nom. Dès lors, la compétition, moins représentative de l'Europe, devient une scène occupée principalement par les clubs les plus huppés.
1995 : L'arrêt Bosman change tout, les clubs riches se renforcent
L'un des tournants majeurs qui a plongé le football dans son ère «moderne». Cette décision de justice, prise par la Cour de Justice des Communautés européennes en 1995, a opéré plusieurs changements, encore visibles dans le football que l'on connait aujourd'hui. La limite de trois joueurs étrangers sur le terrain n'existe plus, les clubs ne peuvent plus demander d'indemnité pour un joueur en fin de contrat, l'exode des joueurs n'est plus contrôlé et le football européen se transforme en libre marché. Les plus riches y trouvent évidemment leur compte et se renforcent à coups de chéquiers. Les moins huppés se font dépouillés de leurs talents et se font plus rares dans les phases finales de Ligue des champions. Depuis cette décision, hormis lors des éditions 2003-04 et 2019-20, aucune équipe ne faisant pas partie des quatre grands championnats n'a réussi à atteindre la finale.
1998 : Media Partners et le premier projet de Super Ligue
Il faut remonter 13 ans en arrière pour voir apparaître chez certains le fantasme d'une ligue élitiste fermée du football européen. L'idée vient en premier lieu de Media Partners, une société spécialisée dans les droits TV (voyez-vous ça), dirigée par un homme d'affaires italien, ancien collaborateur de Silvio Berlusconi : Rodolpho Hecht. Son projet, déjà intitulé Superligue, répartirait 36 clubs européens en 3 poules de 12. Les 18 membres fondateurs (Real, Bayern, OM, Inter, etc.) bénéficieraient d'une garantie de participer à la compétition pendant au moins 3 ans. Les autres champions nationaux complèteraient la liste, sur invitation. Calqué sur le modèle NBA, il n'y aurait pas de descente, seulement la certitude de voir les coffres se remplir. Le projet est soutenu par plusieurs pointures du monde de l'audiovisuel : Ruper Murdoch, Leo Kirch et Silvio Berlusconi. Et déjà, à l'époque, les sommes agitées devant les dirigeants des clubs invités sont immenses.
Florentino Perez, le président du Real Madrid, est l'un des grands artisans de la création de la Super Ligue (A. Mounic/Lâ?™Equipe)
2000 : Création du G 14, quand l'élite du football européen s'organise
Cette petite assemblée de clubs européens s'est constituée en 2000. Elle y regroupe les plus puissants et accorde des voix en fonction des résultats sportifs des clubs. Les 14 membres fondateurs bénéficient de 3 voix tandis que les nouveaux venus n'en ont qu'une. Une victoire en Ligue des champions permet d'acquérir 2 voix de plus. Cette oligarchie des clubs européens, très proches des géants du marketing et des annonceurs du football, pèsent à peu près 250 championnats nationaux et 41 Ligues des champions. Pendant ses 8 années d'existence, l'organisation de lobbying a milité pour la multiplication du nombre de matches européens afin de générer plus de revenus. Elle s'est souvent opposée à l'UEFA et à la FIFA, notamment concernant la mise à disposition des internationaux par leur club. Jugé trop élitiste par le président de l'UEFA, Michel Platini, le G14 se dissout en février 2008. Il est remplacé dans la foulée par l'Association européenne des clubs (ECA), plus représentative avec ses 214 membres.
2016 : Une réforme qui avantage les gros
L'UEFA annonce le 25 août 2016 qu'elle va laisser plus de place aux grands championnats en Ligue des Champions, au détriment des ligues mineures, dès la saison 2018-2019. En effet, les quatre clubs les mieux classés des quatre premières nations au classement UEFA seront automatiquement qualifiés pour la phase de groupe. Cette réforme, ayant pour but d'augmenter les droits TV en proposant plus de matchs « chocs », intervient après les déclarations de Karl-Heinz Rummenigge, président de l'ECA, l'association européenne des clubs. En janvier 2016, il parlait déjà d'un projet de Super Ligue : «Il ne faut pas exclure que, dans le futur, on puisse créer un championnat européen avec les grands clubs d'Italie, d'Allemagne, d'Angleterre, d'Espagne et de France, sous l'égide de l'UEFA ou d'une organisation privée». A l'époque, c'étaient les patrons du Bayern Munich et de la Juventus, Karl Hopfner et Andrea Agnelli - encore lui - qui mettaient la pression sur les différentes instances pour créer une ligue fermée.
2019 : Le projet de réforme qui fait beaucoup parler
Révélée au grand public, la réforme de la Ligue des champions prévue pour 2024 a fait face à un vent de critiques. Le projet prévoyait une phase de poule avec quatre groupes de huit équipes, contre huit groupes de quatre actuellement. Le but de ce changement étant d'augmenter le nombre de matchs pour maximiser les revenus. Imaginée par les gros clubs, la réforme diminuait encore la présence des clubs évoluant dans les championnats mineurs mais aussi dans les championnats intermédiaires, au point de toucher la France qui n'aurait plus qu'un seul club qualifié directement pour la phase de groupe. Pour Olivier Létang, ex-président Rennais, «c'est le début d'une ligue fermée». Le projet ne résistera pas aux critiques et sera remplacé par un autre moins élitiste.
Parallèlement à cette réforme, un autre projet fait son chemin en coulisse. Florentino Pérez souhaite créer la Super Ligue européenne des clubs et essaye de rallier à sa cause les autres gros clubs ainsi que la FIFA. Il est déjà question de regrouper vingt équipes et les faire s'affronter en les séparant en deux divisions. Aleksander Ceferin, président de l'UEFA, voit rouge : «Si je comprends bien, l'idée vient d'un seul président de club et d'un dirigeant du football mondial. Difficile de trouver une idée plus égoïste. Cela tuerait le foot. Cela profiterait seulement à quelques personnes»
Parallèlement à cette réforme, un autre projet fait son chemin en coulisse. Florentino Pérez souhaite créer la Super Ligue européenne des clubs et essaye de rallier à sa cause les autres gros clubs ainsi que la FIFA. Il est déjà question de regrouper vingt équipes et les faire s'affronter en les séparant en deux divisions. Aleksander Ceferin, président de l'UEFA, voit rouge : «Si je comprends bien, l'idée vient d'un seul président de club et d'un dirigeant du football mondial. Difficile de trouver une idée plus égoïste. Cela tuerait le foot. Cela profiterait seulement à quelques personnes»
2020 : Covid-19 et urgence économique
Le monde du football n'est pas ressorti indemne de la crise sanitaire. Les clubs ont dû faire une croix sur leur recette, notamment en raison de la fermeture des stades. Alors qu'une ère austère s'annonce, la nécessité de se réinventer et de réinventer le football est soufflée par le président du Real Madrid, Florentino Perez. « La pandémie doit nous rendre plus compétitifs. Nous devons innover, chercher des moyens de rendre le football plus attractif. Le Real Madrid a été à l'origine de la création de la FIFA, de la Coupe d'Europe...Le modèle actuel a besoin d'un nouvel élan et l'impact de la Covid-19 l'a démontré. Il a besoin d'un nouvel élan et c'est là que se trouvera le Real Madrid » confie-t-il lors de l'assemblée générale des socios. Le contexte est propice au lancement du projet Super Ligue.
2021 : La concrétisation d'un projet
Il était attendu par les ténors et redouté chez les clubs intermédiaires depuis longtemps. Le 18 avril 2021, le projet de ligue fermée voit « enfin » le jour après de nombreuses réformes favorisant les gros. Douze clubs - Real Madrid, Barça, Atlético Madrid, Juventus, Milan AC, Inter, Manchester City, Manchester United, Tottenham, Arsenal, Liverpool et Chelsea - dévoilent la Super Ligue, une compétition créée par les grands clubs, pour les grands clubs. Cela avec toujours comme optique de renflouer encore plus les caisses, avec, selon Sky Sports, six milliards de dollars à distribuer aux 20 participants, contre deux pour les 32 disputant la Ligue des champions.
Corentin Richard
Corentin Richard